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Harkis, le poids de la trahison

par Moncef Wafi

Pour quelles raisons le dossier des harkis reflue-t-il, épisodiquement, à la surface ? Pour faire pression sur l'Algérie, insiste l'Organisation nationale des moudjahidine. Pour des raisons humanitaires, soutient Paris. Alors que ces hommes ont choisi leur camp, pendant la guerre de Libération, pris les armes en toute conscience et tourné le dos à la terre de leurs ancêtres, 56 ans après l'indépendance, on en est encore à s'interroger sur leur retour au pays. Le fait même que Paris évoque cette question, quel qu'en soit le dessein, est en soit un impair grave pour être souligné. C'est comme si l'Allemagne demandait aux Français de se réconcilier avec les collaborateurs, ceux qui ont vendu Jean Moulin.

La France souhaite que le harki, celui qui a vendu son pays, qui a collaboré avec le roumi de derrière un bureau ou sous une cagoule et qui a trahi ses frères contre une solde et une pension, plus tard, puisse retourner en Algérie. Pour comprendre cet intérêt, il faut chercher d'abord dans les poubelles de l'histoire de la France coloniale. Au lendemain de la victoire, des milliers de harkis sont abandonnés sur les quais de la défaite.

D'autres milliers, les plus chanceux, sont parqués dans des camps à la périphérie des agglomérations. Ils étaient un poids pesant aussi bien pour le Trésor français que pour la symbolique coloniale. Ils représentaient la preuve vivante d'un retour au brouillard parisien. La France culpabilisait alors de les avoir abandonnés et de ne pas avoir tenu toutes ses promesses de les considérer comme des citoyens à part entière. Les harkis n'étaient pas encore Français à part entière et ne seraient plus Algériens pour le reste du temps. C'est également des engagements électoralistes, eux et les pieds-noirs, et chaque candidat à l'Elysée y allait de sa promesse d'un retour pour les uns et de la restitution des biens pour les autres. Alors que le sujet est toujours brûlant, on a essayé de l'intérieur à désacraliser le terme, le vider de sa symbolique et le dévoyer à force de le servir à toutes les sauces. On se rappelle Saadani, à l'époque SG du FLN, qui a décrété que le harki est l'élu qui vend sa voix pour des élections. Pour Tebboune, alors ministre de l'Habitat, le harki est celui qui critique la mosquée de Bouteflika. A tous ces messieurs, arrêtons de qualifier de harki le premier venu pour ne pas vider le terme de sa substance.

Ce n'est pas parce qu'on a trompé sa petite copine qu'on est harki. On n'est pas harki parce qu'on a voté contre Bouteflika. On peut avoir une autre opinion, être opposant sans pour autant être un bouchkara. Les harkis, ce sont ces fameuses familles «grandes amies de la France», ces bachaghas et caïds, supplétifs de l'armée coloniale. Les harkis d'hier et d'aujourd'hui sont pareils n'était-ce le temps qui les sépare. Alors messieurs, arrêtez de distribuer du harki à droite et à gauche, restituez la vérité du terme pour que nul n'oublie. Le pardon, peut-être, mais la falsification de l'histoire, jamais.