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Lettre à Farouk Bahamid, Directeur général des douanes

par El Yazid Dib

L'honneur quoique disparu dans les missives, garde pour moi cependant quelques brins pour vous clamer avec mes félicitations en la circonstance. C'est au temps et à la patience qu'échoit cette décision de vous remettre une seconde fois dans les rangs d'une corporation qui n'a fait que trop perdre ses étoiles. L'évasion que vous aviez perpétrée pour partir si loin des droits et taxes et à côté d'une industrie de pièces détachées ne semblait être qu'une quête de franchise ou une appétence par déclaration anticipée d'une main-levée. C'est ce même désir, ce même penchant, cette même sensation à identique degré de vouloir abandonner et jeter le képi qui triture en silence dans les méninges de vos anciens collègues, devenus votre monde actuel. Ça sera donc ainsi l'une de vos premières missions de semer l'espoir et de faire aimer la demeure. De changer de régime, d'éviter de mettre à la consommation définitive les jeunes énergies, d'arrêter ce mauvais perfectionnement actif des épaves encore en cours d'usage et d'alléger les âmes tenues en instance comme des marchandises en souffrance.

Vous aurez à lutter contre le refus, contre la puissance. Le désengorgement des ports ou le déboulonnage des bustes durs vous sera plus aisé que celui des cœurs et des mentalités d'ici et d'ailleurs. Vous aurez aussi à combattre l'autre paradoxe sous-jacent qu'était la facilité de déterrer les morts et de redonner l'âme organique aux momies. C'est selon le rapport que le rapport se dresse. Le coefficient de la puissance fait le reste.

J'ai vu de mon temps s'octroyer des postes comme des dons célestes. Des étoiles et des écussons tomber du ciel. L'interlope, l'esbroufe, la natalité, parfois elhouma suppléaient la qualité et destituaient l'aptitude. Il vous est donc imposé tel un sacerdoce cette réapparition au temps du sacré institutionnel, du référentiel et du gabarit.

Vous savez, monsieur, que la douane dépasse l'existence d'une barrière ou d'un scanner. Elle n'est pas non plus un embarras ou un choix emmagasiné sur aire temporaire d'un temps qui n'est que numérique. Elle peut être, doutez-vous, un simple grand cabas containerisé qui se dissimule dans une cachette spécialement aménagée dans les mentions d'une petite facture ou lors d'une banale embrassade de circonstance. C'est cette douane qui a tissé en plein tarif les muscles et élargi les épaules de certains pour les voir s'abattre sur d'autres qui n'ont que des pauvres épaulettes. Mais là, faites confiance en vos moyens et vos infrastructures didactiques. Vous avez du bon jus, du moins il vous en reste pour en découdre avec le spleen quasi-collectif qui ne s'entend pas mais trahit ce manque de sourire implanté jadis sur chaque visage de gabelou.

Ne prenez pas, monsieur, votre album photos pour un guide de procédure ni votre répertoire pour un effectif privilégié. Gratifiez le mérite et égalisez le traitement. L'honorable maison dont vous êtes devenu chef est en attente du retour d'un charisme imprégné à son ère par Chaib Cherif et disparu hélas depuis. Il suffit pour cela d'avoir l'amour et la passion du métier et de les faire acquérir aux troupes.

Votre programme ne doit pas encore rabâcher, remâcher, ressasser ce sempiternel refrain réchauffé et pesant de «modernisation» de «feuille de route» de «plan d'appui» ou de «stratégie». C'est à un redressement de dos, à un relèvement de tête que vous êtes moralement destiné. Vous devez faire sortir l'homme fonctionnaire du simple matricule qu'il constitue vers un horizon de partage et de partenariat.

Si chacun de nous, Monsieur le Directeur général, savait taire ses émotions et ses faveurs, la norme aurait été celle d'une gestion sans humeur, impersonnelle et sans géo-préférence. La mission est celle d'un salut public interne. Celle d'une implication osée et audacieuse à l'externe.

C'est dans ce premier jour que s'écrira votre histoire. Elle ne nécessite nul audit, nulle expertise, nulle expectative. Tous les coins et les recoins vous sont habituels, usuels. Les identités et occupations aussi. Faites-en bonne œuvre. Cette histoire ne pourra être relatée que par des conteurs vifs, neufs, intacts qu'il vous saurait gré de mettre dans le pipe. Ceux-ci ne verront en vos nouvelles marques qu'une empreinte déposée sur leur espace encore vierge et non sur un autre plein de ratures, d'effacement, de re-marquage et de ré-effacement.