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Lecture proscrite

par Abdelkrim Zerzouri

Le Salon international du livre d'Alger (SILA), qui en est à sa 22e édition, reste un phénomène typiquement algérien. Là, on est assommé par le constat de la relation intimement répulsive entre l'argent (prix de revient et prix de vente du livre) et la lecture. Il faut être riche pour lire en Algérie. Car on doit payer toutes les charges des étapes par lesquelles passent la confection du livre, de l'encre au papier, en passant par les salaires des travailleurs des imprimeries avant d'arriver à la note de l'écrivain. Au final, le livre coûte trop cher pour les maigres bourses des étudiants et salaires des fonctionnaires. C'est tout juste si ces derniers arrivent à satisfaire la demande des rejetons en leur assurant l'achat de trois ou quatre livres de la catégorie, celle qui marche le mieux au SILA. La dévaluation du dinar, un thème qui a pris le dessus dans les débats qui ont cours dans les travées des stands d'exposition de livres, fait sortir l'évènement de sa coque culturelle et littéraire pour l'installer dans la jungle commerciale. Déjà, sans qu'on ait à compliquer les choses avec ces prix inabordables des livres cette année, les Algériens ne sont pas en odeur de sainteté avec la lecture. Cette année, donc, il faut repasser pour la fête du livre, gâchée par des prix très chers et par cette maladie allergique au livre. Le nombre de visiteurs est, certes, très important, battant les records d'année en année, mais ce ne sont guère le livre, les écrivains ou les éditeurs qui en sortent gagnants. Ceux qui en profitent le plus, ce sont encore et toujours les restaurateurs des alentours, où la foule finit par atterrir pour casser la croûte au prix très fort sans la qualité en contrepartie. Une aubaine également pour les hôteliers hébergeurs qui affichent complet en cette période du SILA. Les gens convergent ces jours-ci de toutes les régions du pays, par centaines, vers Alger. Allergie à la lecture ou prix chers des livres, le SILA reste un évènement séduisant, un lieu de rencontre à nulle part ailleurs égal. Au-delà de la lecture, il y aura à positiver avec cet aspect touristique de l'évènement à valoriser. Ce n'est pas du tout de tourisme culturel qu'il s'agit, mais on regarde, on admire avec les yeux les titres et ceux qui passent devant, tant que c'est gratuit. C'est aussi l'occasion de sortir en famille, pour le loisir et détente, pour passer le temps d'une manière un peu singulière entre les stands de livres, histoire de changer des rayons d'habillement. Le SILA reste franchement un livre-évènement ouvert, où tant de pages restent à noircir, notamment autour de cet aspect d'abandon du livre par les pouvoirs publics, qui reste considéré et taxé comme un produit commercial et non culturel. Et ce n'est pas la voie qui incite un peuple à la lecture, car l'amour de la lecture, c'est une toute autre histoire qui commence en bas âge et qui se développe au fil des ans avec l'environnement social.