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Le «caractère» de l'argent

par Abdelkrim Zerzouri

Si des députés n'arrivent pas à comprendre le sens du financement non conventionnel, ou la planche à billets, comment le citoyen lambda peut-il décerner un brin de lumière qui éclairerait sa lanterne ? Pourtant, c'est avec son avenir qu'on joue à l'arithmétique algérienne.

Loin des théories économiques et des explications académiques, un père de famille a tenté d'appliquer dare-dare le financement non conventionnel dans son propre foyer, histoire de mettre dans le bain toute la famille. Ainsi, il annoncera à la mère et aux enfants, réunis autour du dîner, qu'il possède 4 millions de centimes, une somme qui doit lui permettre de boucler ce dur mois de septembre. Surprise des membres de la famille. Ils savent tous que le père n'a que 2 petits millions de centimes, qui peuvent à peine assurer la pitance d'une dizaine de jours, comment se peut-il, alors, qu'il leur annonce, subitement, qu'il a 4 millions de centimes. As-tu emprunté de l'argent chez l'un de tes amis ? La question était sur toutes bouches. Et le père niera avoir eu recours à l'endettement. D'où vient, alors, ce surplus de 2 millions de centimes ? Un jeu d'enfant, il y a le scanner, l'imprimante, le papier, et on n'a qu'à presser le bouton pour tirer 2 millions. C'est autorisé par le gouvernement. Et puis, il faut bien croire ce que dit le père, la famille dispose de 4 millions de centimes. Pas trop simple à avaler mais c'est rassurant de s'entendre dire que les dépenses du mois sont assurées. Le lendemain, la ménagère prend un billet de 2000 dinars et part faire ses courses. L'épicier, lui, voit un billet de 1000 dinars, et lui rend la monnaie en conséquence. Le soir, on refait les comptes, personne ne croit à cette histoire d'argent qui se reproduit gratuitement. Bien sûr que non, l'argent tiré à partir de l'imprimante du domicile n'est valable qu'à l'intérieur de la maison, dehors rien ne change, ou presque, car avec 2000 dinars on peut se payer ce qu'on a l'habitude d'avoir avec 1000 dinars. Il faudrait donc l'utiliser et le fructifier à l'intérieur de la maison. On commence par payer la mère avec cet argent virtuel, qui doit acheter des produits pour préparer des gâteaux qu'elle doit vendre au pâtissier. La famille réalise des rentrées d'argent grâce à ce subterfuge, sans régler encore la valeur du dinar en dehors de la maison. L'équilibre n'est atteint que lorsque la mère réalise un bénéfice de 1000 dinars pour chaque 1000 dinars investis sur argent du foyer, préalablement gonflé.

C'est le principe simplifié de la planche à billets. Avec 2 millions en poche, on est autorisé à imprimer deux autres millions, mais cela ne doit pas servir à la consommation. Les 2 millions gagnés de la sorte doivent aller à l'investissement et rapporter plus que leur valeur, c'est la seule manière de s'en sortir au bout de quelque temps. Sinon, on est fichu pour un naufrage quasi garanti. Le risque est très grand, mais le gouvernement Ouyahia croit en la réussite de son plan d'action. L'argent imprimé dans le vide doit financer l'investissement, et pas n'importe quel investissement, seulement celui qu'on désigne par le qualificatif «productif», qui fait couler la sueur et produit de la richesse.

Des pays au summum du développement ont eu recours à la planche à billets, et ils ont gagné le pari de redresser leurs économies, pourquoi pas nous ? L'argument peut tenir la route, à condition qu'on sacralise, «nous», le travail, comme on le fait dans ces pays développés. Sinon la comparaison serait factice. Aussi, au sein de notre foyer exemple, on ne s'expliquerait pas bien le changement de comportement de ce père de famille qui a toujours refusé de donner un «plus» en argent de poche à ses enfants et qui se met du jour au lendemain à imprimer des billets à sa guise, ni celui de M. Ouyahia qui, doit-on le rappeler, n'est pas partisan de la hausse des salaires, une hausse qui exige une contrepartie en productivité, argumentait-il. Vrai. Comment accepte-t-il, aujourd'hui, de recourir à la planche à billets, qui va augmenter les capacités financières de l'Etat, sans aucune contrepartie en productivité ? «Halaloun Alaïna, Haramoun Alaïkoum» (admis pour nous et non admis pour vous). Là reposent toutes les appréhensions.