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Déçu par la
déperdition culturelle dans laquelle est plongé notre pays, un présentateur
d'une chaîne de télévision privée aurait suggéré récemment dans un spot
publicitaire l'idée pour le moins originale de «démocratiser la lecture» dans
les espaces publics. Il a incité d'abord notre diaspora établie à l'étranger à
rapatrier beaucoup de livres pour les confier aux associations locales ou même,
directement, en mains propres aux gens ordinaires, qu'ils soient membres de
leurs famille, leurs cousins, leurs voisins du quartier ou autres. «Glisser
deux bouquins ou même trois dans sa valise, argumente l'intello, dont les
propos quelque peu teintés de naïveté semblent nager dans un optimisme
démesuré, pour les offrir aux siens, ne coûte sincèrement rien!».
Et une fois que des tas de livres sont rassemblés, c'est simple, on fait le
tour avec. Comment ? Quiconque lit un bouquin emprunté à une association ou à
un particulier devrait le laisser dans la place où il l'a terminé pour qu'un
autre puisse le lire à son tour, puis le transmettre à un autre?, et ainsi de
suite. Cela peut créer de l'engouement chez cette jeunesse assoiffée d'évasion
pour tout ce qui est culturel et dissiper le marasme qui l'étouffe. Fataliste
et endormie, la société peut, quant à elle, se réveiller, baliser son chemin et
se prendre en charge. Face à la sinistrose politico-culturelle ambiante et le
désengagement des pouvoirs publics, les citoyens sont amenés à se mobiliser par
eux-mêmes pour se former et rattraper leur retard en mettant en place des
groupements de veille culturelle, de kermesses d'idées, de foyers littéraires,
etc. Bien entendu, après cette étape entre amis et voisins, la suivante sera la
collecte-distribution des livres en porte-à-porte dans les cafés, les rues et
les quartiers. Ainsi l'accès libre et gratuit aux livres favorisera-t-il le
rendement de la lecture en Algérie! En réalité, des
initiatives populaires concertées de ce genre sont à encourager mais la
question qui se pose est si les nôtres y sont vraiment prédisposés. Et s'ils
sont aussi capables de s'organiser et y imprimer un rythme solidaire spontané,
surtout quand on devine à gros traits la complexité des rapports sociaux en
Algérie. Un simple chômeur de Aïn-Beïda,
de Béchar, de Tizi-Ouzou, ou de Chlef qui écoute le
message du journaliste, aura vite préparé la réponse suivante : «Trouvez-moi du
boulot d'abord, puis parlez-moi de livres !», un autre l'assommera par ses
multiples tracas avec l'administration pour dégoter un logement AADL ou un
projet ANSEJ, un troisième concentrera toute sa diatribe sur les privilèges
dont jouissent nos élites et ses ressentiments en tant que «marginalisé du
système», un quatrième râlera sans cesse à cause des prix des patates, des
poivrons et des bananes. Au bout d'un certain moment, on se rendra
compte que l'argument de ce projet culturel ambitieux ne tiendra pas longtemps
d'autant qu'il n'y a eu aucun travail de fond mené par les autorités pour y
préparer le terrain. Happé par l'hystérie provoquée par la rente et une longue
torpeur ayant ruiné sa conscience, l'Algérien s'est vite clochardisé aussi bien
dans ses poches que dans sa tête, presque dessaisi, malgré lui, de toute notion
de temps et d'espace.
Or, il oublie qu'un suicide collectif n'est pas seulement une somme de suicides individuels mais le suicide de toute une collectivité. Un suicide commis collectivement, avec une hypocrisie et une indifférence collectives pour lesquelles il faut des solutions collectives! |