Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Voleurs de voix

par Mahdi Boukhalfa

C'est un nouveau concept, un terme new look, «vintage et branché», en même temps, un nom commun pas commun: «trahiseur». A ne pas confondre avec «traître», un «trahiseur», selon le nouveau dictionnaire du «françaisdaridja» algérien, est celui qui trahit la Patrie, la Constitution, mais pas le pays, en fraudant aux élections. La différence est importante, car la patrie est une notion vague et métaphysique, la Constitution un texte de loi fait par des humains, et donc susceptible d'être contourné, ou tout simplement oublié, l'espace d'une élection, c'est-à-dire mise au placard. Mais, le pays, c'est du concret, du solide, pas du virtuel, avec la mer, les oueds, les montagnes et les plaines et prairies. Donc, selon le président de l'Instance de surveillance des élections, trafiquer les prochaines élections législatives est un acte de trahison, envers la Constitution et la Patrie.

Pour l'Algérien assommé par la hausse des prix des billets d'avion Alger-Chicago ou du kilogramme de grenouilles grillées, donc celui qui regarde de loin ces élections, comme une intrusion dans sa quiète vie privée, la HIISE se donne beaucoup de mal pour prévenir toute fraude électorale, toute manipulation des voix des électeurs, en parlant beaucoup, en lançant des mises en garde, même à absoudre les anciens «trahiseurs» des élections passées, puisqu'il affirme qu'il faut «éviter de transposer les accumulations du passé». C'est-à-dire ne plus faire cas des fraudes et traficotages, en tout genre des anciens «trahiseurs», et se concentrer seulement sur les prochaines élections. Or, il y a une chose admise dans nos contrées maghrébines, d'ailleurs immortalisée par un vieil adage: «celui qui a goûté à la saveur ne peut avoir de quiétude» (Li douk el benna, ma yethenna, en bon françaisdaridja, ndlr). Donc, notre HIISE prévient tout le monde contre la fraude et la manipulation des résultats, mais ne dit mot sur les moyens qu'elle compte mettre en œuvre pour éviter que les impénitents «trahiseurs» ne volent aux Algériens, une fois encore, leurs voix. Lors des dernières législatives, selon des commérages rapportés par les perdants, et donc peu susceptibles de crédibilité, les militants de certains partis avaient bourré les urnes, après les avoir détournées. Un ancien chef de gouvernement a mis tous les «trahiseurs» sur le même pied d'égalité, en dénonçant, bien tardivement hélas, la fraude à la fin des années 1990. Ce phénomène de prédation qui touche, particulièrement les urnes, signe distinctif des «trahiseurs», ne s'est pas arrêté aux années 2000, selon les sondages d'opinion des bas-fonds des villes algériennes. C'est évidemment, pour prévenir cette invasion de l'Algérie qui vote, que la HIISE a été décidée et installée, avec pour mission principale de bouter, hors du pays, la prochaine vague de «trahiseurs», qui voudraient attenter à la crédibilité de ces législatives 2017, et, surtout, menacer et mettre en péril la sécurité du pays.

C'est le président de cette instance qui le dit lui même: «toute manipulation des résultats, dans le contexte international actuel, compromettrait la stabilité du pays et serait une véritable trahison envers la Constitution et la Patrie». Ailleurs, dans les démocraties avancées, où les mandats électoraux ne dépassent pas le nombre de deux, comme vient de le consacrer, justement, la nouvelle Constitution, des instances style HIISE n'existent pas. Pourquoi ? La raison est simple: il n'y a pas de «trahiseurs».