Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'énigme du bonheur !

par Kamal Guerroua

Au milieu des années 1970, l'Américain Richard Easterlin, théoricien mondialement connu de l'économie du bien-être, aurait dans une étude sociale spécialisée, énoncé un paradoxe qui porte son nom. D'après lui, une fois le minimum vital acquis, l'argent ne fait plus le bonheur. Cela est d'autant plus vrai que lorsqu'on s'y habitue, on finit vite par s'en lasser. Et si ce sentiment de lassitude persiste encore, ça laissera forcément une impression de vide autour de nous, nous plongera dans le blues et nous fera même perdre l'appétit de vivre. Aussi, l'amour, la réussite professionnelle ou matérielle, la santé, la famille, l'amitié, les enfants, les loisirs, etc., participent-ils plus, dans ce cas-là, de l'accomplissement d'un ego personnel au sein d'une société que l'on conçoit plutôt comme compétitive que de la constitution d'une raison de vie. Cette dernière, la vie s'entend, ne serait guère alors ce champ de bataille où l'on construit des idées, s'attache à des vertus ou des idéaux et s'emploie pour les concrétiser mais des ruines de certitudes et de calculs qui nous bouchent les portes du rêve.

Mais qu'est qu'une vie sans rêves si ce n'est cette monstrueuse machine qui épuise et dévore nos jours? Et puis, le rêve n'est-il pas cet ultime souffle de résistance qui tire la corde du défi de la nuit du fatalisme vers les lumières de l'espérance ? Autrement dit, le commencement de cette histoire d'amour aux multiples épisodes entre l'homme et la vie. Ce qui permet à ce dernier de respirer et de lâcher prise, puis reprendre confiance en lui-même, regarder le monde autrement, sortir des sentiers battus, marcher devant avec plus d'élan, en prenant autant d'initiatives possibles pour chercher, comme dirait André Malraux, cette région cruciale de l'âme où le mal absolu s'oppose à la fraternité.

Oui la fraternité! Cette épice de l'amour et de la solidarité humaine, cet idéal qui fait du salut de l'homme la préoccupation de son prochain, voire le seul antidote possible contre l'égoïsme, l'hypocrisie et ce commerce, hélas combien prospère dans les sociétés d'aujourd'hui, des haines, des peurs et des angoisses entre les peuples, les religions, les ethnies, les races, etc.

Enfin, imaginons un instant le destin d'un homme sans rêves, ce «light man» (homme léger) qui ne conçoit son existence et celle des autres que sous la lorgnette de cette dure réalité, la nôtre, c'est-à-dire celle de cette humanité qui régresse à vive allure pour des raisons liées à un bonheur artificiel trouvé par hasard dans une certaine finance hypothétique. Un néant sans doute. D'autant que cela ne déboucherait que sur un monde privé d'esprit, moins chaleureux, plus calculateur, moins fraternel. Guerrier!