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Que sont devenues nos villes ?

par Kamal Guerroua

Il va de soi que c'est à un véritable décrochage culturel, social, économique, c'est-à-dire une rupture dans l'aménagement de nos territoires que nous assistons, aujourd'hui, en Algérie. Voulu ou non, cet abandon est le signe le plus inquiétant de la maladie bureaucratique ayant atteint le cerveau de nos décideurs. Bref, on néglige trop, on ne sait pas d'ailleurs pourquoi, l'architecture et l'urbanisme dans notre pays. De même, l'investissement créatif dans nos villes (construction de lieux de loisirs et de repos, réalisation des peintures murales, des œuvres d'arts collectives, etc.) laisse-t-il à désirer dans la mesure où il n'y a guère cette convergence plurielle entre les dynamiques urbanistiques, à savoir l'accessibilité de toutes les zones urbaines, l'innovation culturelle et patrimoniale (musées, agences de voyages, centres culturels, etc.), le renforcement d'un accueil de qualité et du tourisme, la mise en œuvre d'une politique gestionnaire sérieuse pour préparer le terrain à l'ère des métropoles (Alger, Oran, Constantine). Un de mes amis algérois, longtemps exilé en Occident, me répète souvent qu'il se perd lors de ses séjours d'été dans les rues d'Alger. Il ne se reconnaît plus dans cette ville, la sienne, qui a perdu ses repères et son attractivité du passé (insalubrité, piètre qualité de l'hôtellerie, réseau de transport en commun en mauvais état mais presque jamais renouvelé, incivilités dans la rue, sentiment d'insécurité, etc.). Ajoutons à cela la prolifération anarchique en périphérie des surfaces commerciales qui encombrent même les trottoirs. En effet, même les études urbanistiques conçues dans des bureaux d'études hautement spécialisés ?ce qui devrait être une priorité pour nos responsables?semblent être mises de côté. «Comment peut-on imaginer alors, continue, coléreux, l'ami nostalgique, une autoroute sans station- service, des commodités de vie, des sanitaires, etc. ? Et dire que nous voulons gérer correctement le tramway? Que du pipeau !». Aucun équilibrage entre la densité de la population urbaine, l'efficacité économique de ce qui a été réalisé, le respect de la qualité environnementale et la prise en compte des réalités sociales. De plus, au fur et à mesure qu'on avance vers les villes de l'intérieur, on remarque bien l'obsolescence de leurs réseaux routiers et la dégradation de l'habitat, ce qui tire l'image de ces dernières vers le bas et les rend repoussantes. Les territoires ruraux ayant besoin de pôles de centralité pour survivre sont restés, eux aussi, malgré les efforts consentis jusque-là par les autorités afin d'endiguer l'exode rural massif, enclavés. Exsangues, les collectivités locales ne sont malheureusement pas en mesure d'engager les compétences nécessaires pour aménager une plateforme de ressources et d'initiatives pourvue de façon collaborative. Ruralisées parce que incontrôlées, nos villes deviennent de plus en plus encombrées, cultivant en leur sein des poches de misère et de délinquance dans des zones non sécurisées. C'est pourquoi, un sérieux renversement de politique urbanistique est plus que jamais nécessaire pour préserver l'attrait de nos villes.