«Ma
yebka fel oued ghir hdjarou» (ne restent dans
l'oued que ses galets), est l'un de ces proverbes du terroir qui illustre à
merveille l'emprise de l'absurde dans la vie humaine. Il reflète, à n'en point
douter, la constance et la fidélité de ces petits êtres ou plutôt ces choses
qu'on croyait a priori sans intérêt pour nous, voire complètement futiles et
qui s'avèrent être, en fin de compte, les plus importants. Beaucoup plus
intéressants parfois que tout sur quoi on avait compté au départ. En
l'empruntant, je pense en particulier à cette métaphore subtile d'un poète
libanais qui aurait, lui, parlé de ce fameux «el-hadjar
assaghir» (le petit caillou) calé dans un énorme
barrage d'eau. Ce dernier, pourtant raillé par tous pour son insignifiance et
son inutilité, aurait provoqué, une fois disparu, l'effondrement général du mur
de soutènement dudit barrage. Et ce fut, vous l'aurez assurément bien deviné,
la catastrophe. Comme si ces flots du val en crue qui peuvent tout emporter dans leur marche fougueuse ne craignaient vraiment
que la résistance d'un fragment de roche méprisable, minuscule, arrondi, lisse
! Drôle comment l'infiniment grand (la vie) dépend des fois de «l'infiniment»
petit (ici le galet). On peut aussi dénicher, dans un autre contexte, un dicton
bien de chez nous qui reprend presque la même chose «ma tektâa
el oued h'ta t'ban hdjarou»
(ne traverse un oued que lorsque tu verras ses galets). Une façon de signifier
aux gens distraits que la réalité ne se retrouve que dans le fond des choses !
Ironie du sort, ce sont justement ces galets-là qui, tout petits qu'ils sont,
pèsent trop dans l'eau, en s'immergeant dans le ventre du fleuve ou du oued (le
fond) comme pour bien s'accrocher, paraît-il, à ses profondeurs et résister au
pouvoir destructeur des flots. Un oued ne tolère jamais l'erreur, l'aventure,
la légèreté..., l'inattention de ceux qui l'empêchent de couler ou tentent même
de le traverser.
D'ailleurs,
«dah el oued» (l'oued l'aurait emporté), une des
formules consacrées dans nos rues ne désigne-t-elle pas cette personne qui est
allée à sa perte sans aucun espoir d'être repêchée?
Ainsi se moque-t-on depuis longtemps des gens de Bab
El Oued, ce quartier populaire séculaire étalé au pied d'Alger la blanche, face
à la mer, tout proche de la vieille Casbah, en répétant comme une mélodie
macabre «Bab El Oued dah el
oued» (Bab El Oued est emporté par la crue). Et le
pire est bel et bien arrivé, hélas, un certain 10 novembre 2001 ! «El-hemla» (la crue) aurait submergé toute la ville, laissant
derrière elle des morts, des dégâts, de la tristesse, le deuil de tout un pays.
On dirait que, prophétiques, les gens d'antan auraient déjà aperçu passer
quelque part un spectre de malheur dans la nuit algéroise. Quoique la
symbolique inhérente à l'alchimie de cette configuration métaphorique ne
procède, dans ce cas-là, que d'un hasard climatique !