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Papa, mais t'es pas là ; mais t'es où ?

par Ahmed Farrah

Chez les éternels mineurs rien ne se fait sans le tuteur. Non, ce n'est pas pour le respect qu'il force, mais surtout pour ses largesses, qu'il est soudoyé de toute part. Cette mentalité est bien ancrée dans les esprits clientélistes. Elle ne change pas. Elle a la vie dure. Elle écrase tout ce qui lui vient en travers de son chemin. Ces enfants gâtés n'éprouvent aucun état d'âme pour conserver ce qu'ils ont eu et pour en avoir plus encore. Ils ne partagent rien. Ils se fichent des autres.

Si aujourd'hui la plupart de nos villes sont dirigées par ceux qui sont totalement concentrés sur les intérêts immédiats les plus égoïstes, c'est parce qu'ils ne doivent leur nomination qu'à ceux qui ont le pouvoir de décision, de les avoir imposés sur des listes composites soumises au scrutin non-nominatif. Il est donc tout à fait logique que leurs prérogatives soient très limitées par un code communal qui les placerait sous le tutorat de l'autorité de l'administration. Cette situation les conforte dans le sentiment de ne pas être comptables devant les citoyens qui ne les avaient pas choisis, mais qui ont simplement voté.

Le citoyen frondeur les ignore et les enjambe pour pouvoir faire valoir ses droits. Il coupe la route et manifeste devant le décideur en brandissant le drapeau national et le portrait du Président de la République, car il sait que c'est de ce niveau-là que pourraient venir les solutions de ses problèmes.

Le commis est lui aussi très attentif pour ne pas commettre des maladresses envers celui à qui il doit son siège éjectable, sur lequel il règne sur son microcosme et influe sur son microclimat. Il est le fils du patriarche. Il ne doit rien dire sans l'évoquer. Il ne doit rien faire sans le patronage du père.

Tingartia, une cité millénaire qui fut la capitale rostomide du premier État musulman d'Afrique du nord, puis capitale de l'État embryonnaire de l'Émir Abdelkader ; elle est devenue en 1958, chef-lieu de département avant que beaucoup d'autres villes ne le soient et qui malheureusement aujourd'hui lui ravissent sa place. Elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Son présent n'est plus à la hauteur de son passé. Elle s'est éteinte et son rayonnement culturel d'antan n'est plus vécu que comme un souvenir d'une nostalgie de refuge. Comme partout, une ville n'est que le reflet de ses citoyens et de ceux qui la dirigent ; si elle est là depuis des années, aussi bas où elle se trouve, c'est à cause de l'insouciance des uns et le laisser-aller des autres. Des Tiaretiens, de sang et de cœur, ayant montré symboliquement leur volonté de relever la tête et de dire basta : Tiaret mérite mieux, a-t-on publié sur les réseaux sociaux, une lettre ouverte au président de l'APC, dans un esprit de participer à relever le défi et soucieux de redorer son image à leur ville devenue méconnaissable avec le temps qui passe.

Cependant, certains par réflexes ataviques reniant la représentativité locale, suggèrent qu'il vaut mieux s'adresser au bon Dieu qu'à ses saints pour tout et n'importe quoi ; ce qui vérifie bien les limites d'un système jacobin centralisé qui ne laisse à ceux d'en bas aucune possibilité de s'émanciper sans qu'il le décrète. C'est ainsi que ces sociétés sont devenues paralysées, ne pouvant plus prendre d'initiative sans s'adresser à leur papa qu'il soit sur terre ou bien là-haut, dans le ciel. Comme dit le refrain d'une célèbre chanson : « Papa, mais t'es pas là ; mais t'es où ? » s'il est à l'écoute bien sûr.