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«Qalb el-louz Café»

par Ahmed Farrah

Les habitudes quotidiennes changent et se fon dent peu à peu dans le rythme imposé par le mois du ramadan. Tout ou presque se recentre sur la consommation. Les mercuriales s'enflamment et les bourses se vident sans pondération. Les rites prennent une autre dimension en devenant plus audibles et évidents. Les activités diurnes se resserrent et les journées se font interminables sous la chaleur torride. Les gens mutent en ombrophiles fuyant le soleil et cherchant le moindre abri pour y tenir physiquement. La plupart s'enferment chez eux. L'horloge biologique est malmenée. La physiologie est dérégulée. Le sentiment de liberté est inhibé. Les premières inquiétudes se dissipent et la délivrance arrive avec l'appel du muezzin annonçant la rupture du jeûne.

Les repas consistants et riches lestent les membres devant des écrans de télévision. L'animation s'impose d'elle-même en nocturne après la sollicitation des mitochondries. Sortir et veiller tard jusqu'au petit matin pour les jeunes est une tradition constante. Les moins jeunes ne peuvent pas s'autoriser de tels écarts.

Cependant, il est devenu récurrent de trouver des mécontents inapaisables et toujours prêts à voir le verre à demi vide. Se plaindre de la platitude de la vie culturelle pendant le ramadan, c'est comme déplorer l'évidence de la brièveté des jours d'hiver au pôle nord.

La culture ne peut pas être évènementielle et au gré des plaisirs récréatifs de certains. L'aridité culturelle se trouve d'abord ancrée dans les esprits impotents qui n'arrivent pas à s'affranchir de leurs certitudes. Il est impensable de faire de la culture sans le public qui s'y intéresse. Le problème est profondément sociétal dans des pays où l'intelligence et la créativité sont foulées aux pieds et où les artifices et la malice sont des vertus appréciées. Ailleurs, à Brooklyn les planches de théâtre foisonnent et le spectacle ne s'arrête jamais, nuit et jour.

Des centaines de titres de livres et de magazines spécialisés sont édités chaque jour aux États-Unis. Les plus grandes galeries d'art s'y trouvent. Las Vegas, la ville sortie tout droit du désert du Nevada et qui n'était au début XXe siècle qu'une bourgade, est aujourd'hui le temple mondial de la distraction et du shopping. Si la culture y est prospère, c'est tout simplement parce qu'elle a trouvé un environnement propice, fait de liberté de penser, de créer, d'innover et d'entreprendre. Ici l'artiste et l'intellectuel sont réduits à des meubles qu'on installe pour décorer un événement commémoratif, sponsorisé par le « contribuable ». Il est rare que le mérite y soit mis au-devant.

La culture du bendir, des youyous et des medahates est la seule qui soit répandue dans la société. Il est curieux de voir des jeunes roulant dans des berlines allemandes de dernière série, poussant les décibels à fond pour faire entendre aux passants leur musique de mauvais goût. Paradoxalement, quand des groupes de musique du terroir se produisent, les salles ou les gradins restent quasiment vides. La culture n'est donc pas chez elle. Passez, il n'y a rien à voir ou plutôt si, déguster de bonnes sucreries sur une terrasse d'un « Qalb el-louz Café » en regardant la foule passer dans les lueurs de la nuit.