C'est le
ramadhan et on ferme l'œil sur tout ce qui ne coule pas de source. C'est le
mois de la solidarité. Pas essentiellement alimentaire, car la solidarité entre
travailleurs qui se mettent tous d'accord, tacitement, pour ne pas travailler
est de rigueur. Les femmes sont les premières à bénéficier de cette solidarité
de la part de leurs collègues mâles. L'absentéisme des femmes est toléré en ce
mois sacré. Elles décrochent à 14 heures, au plus tard 14 heures 30 minutes,
avec l'accord du directeur et le consentement de tous les travailleurs. Cela
n'est garanti par aucun article de loi, ni aucun article dans le contrat de
travail, mais tout le monde trouve qu'il est indispensable qu'elles rentrent
chez elles ces travailleuses pour préparer la table du f'tour.
Toute l'équipe, du chef jusqu'au portier, est d'accord sur ce principe. Comment
peut-il en être autrement lorsque toute l'équipe n'est visible que dans un
court laps de temps dans la journée ? Le reste du temps on le passe dans les
marchés, ou endormi dans un petit coin peinard, sur le lieu même du travail.
C'est, donc, un demi-mal si la femme quitte trop tôt son poste. Elle a, au
moins, le mérite d'être à son poste de 9 heures jusqu'à 14 heures 30 minutes
(théoriquement l'horaire de travail lors du mois de ramadhan est fixé de 9h à
16h). Car son collègue mâle, on ne sait pas s'il peut être présent plus d'une
demi-heure dans son bureau. Des complicités se nouent durant ce mois de
ramadhan avec un seul objectif : se liguer contre le travail. Ainsi, on commet
un véritable massacre collectif contre l'économie nationale sans que quiconque
ne trouve à redire. Apparemment, la contagion touche tous les secteurs et tous
les niveaux de responsabilité. Le gouvernement, lui qui ne rate aucune occasion
ces derniers mois pour nous rappeler que notre économie est foutue depuis la
chute du prix du baril de pétrole, se confond dans un silence complice. Cela
laisse croire que le mal touche le haut de la pyramide et arrive jusqu'à sa
base. La gangrène. Ils sont bizarres ces musulmans (car ce phénomène de
l'absentéisme durant le ramadhan n'est pas le propre des Algériens) qui se
montrent choqués que l'on vienne à leur appliquer des intérêts sur des prêts
bancaires, criant au ??Riba'' et appelant à la
rescousse les imams et muftis pour les faire témoigner contre l'illégalité du
procédé, jugé ??kofr''. On aurait trouvé cela tout à
fait normal qu'un musulman applique la parole de Dieu si on contrepartie le
travail est élevé au rang de sacré, comme le voudrait la religion musulmane. Si
tous les jeûneurs renforçaient leur rendement au travail durant le mois sacré,
là on ne se tromperait pas sur la pureté et la noblesse des sentiments de ces
musulmans. Mais, avec toute cette triche dans le travail, le bac, la balance et
j'en passe, on est bien consterné de constater que l'islam a déserté ces
contrées où l'on se réfère à ses préceptes dans la vie
quotidienne et les aspirations pour gagner une place au Paradis. Plus
malheureux encore, un pays voisin a cru bon de créer des brigades de contrôle
pour lutter contre l'absentéisme dans les administrations durant le ramadhan.
Un effort de bonne intention pour limiter les dégâts, certes, mais, n'est-ce
pas qu'un musulman sait pertinemment qu'il y a Dieu pour le surveiller lui et
tous les autres. Moralité : il y a des rendez-vous, comme ça, comme des
miroirs, qui nous dévoilent toutes nos hypocrisies.