Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Question de cases

par Mahdi Boukhalfa

Le ministre de l'Habitat est catégorique : la crise du logement sera vaincue en Algérie en 2018. Grâce à ses programmes de logements, ses chantiers, il va résoudre une crise qui colle à la peau d'un Algérien sur deux. Comme s'il s'agit d'une maladie, d'une épidémie, il a annoncé voilà moins d'une année, triomphal, que tous les Algériens seront logés à cette date. Le 9 février 2016, il avait affirmé qu'en 1999, le déficit en logements était de 3,5 millions d'unités. Là, nous ne sommes qu'à 500.000 logements manquants ». Catégorique, il estime que tous les Algériens demandeurs d'un logement seront d'ici là «relogés«. Sauf qu'entre les déclarations du ministre et la réalité, il y a un monde. Car le premier «logeur» de l'Etat et ses prolongements que sont les walis et les chefs de daïras, ainsi que les P.APC ne voient pas ces plaintes quotidiennes, ces manifestations permanentes pour un «toit décent», ces bidonvilles qui naissent comme des champignons aux abords des villes. Ceux là, ne font pas partie du décompte du ministère, qui ne prend en compte que les demandes de logements. Et puis, comment ce ministère peut-il résoudre la crise du logement quand le programme AADL1, lancé il y a maintenant 15 ans, n'est pas encore sorti du tunnel. Non, à l'évidence, il y a beaucoup de démagogie dans cette démarche, comme la poudre de Merlin qui aveugle sur le moment, mais laisse des séquelles socio-économiques profondes, irrémédiables dans le tissu social algérien. Certes, le bien «logement» est devenu une carte politique, un «bonbon» social que font miroiter les pouvoirs publics pour assurer la paix sociale, mais, il arrive que la plus belle des mécaniques fasse des ratés. Et cette politique du logement est souvent le creuset d'immenses souffrances, de drames familiaux, de perte de confiance de larges pans de la société algérienne. Car pour au moins la moitié des Algériens, l'acquisition d'un logement est devenue la priorité des priorités, et donc tous les autres aspects de la vie sociale sont mis de côté, oubliés. Dès lors, celui qui a les clés du logement a les solutions pour calmer un front social qui bout de l'intérieur. Car avec cette crise du logement, la crise urbaine est bien plus profonde, car elle est dangereusement exacerbée d'abord par des milliers de pertes d'emplois, ensuite par la hausse inquiétante du chômage. La réalité est là : la course au logement, souvent un mirage pour les couches défavorisées, est accompagnée d'une baisse drastique des opportunités d'emplois, d'embauche, ce qui rend l'attente d'un F3 insupportable dans un «squat»en zone urbaine. La démarche du ministère de l'Habitat est en elle même cruelle, car seuls ceux qui ont des salaires peuvent prétendre à un logement, les autres doivent attendre que leur bonne étoile se manifeste pour un hypothétique logement social, le plus souvent objet d'âpres marchandages mercantiles entre la wilaya, l'APC et l'OPGI, chacun de ces trois intervenants tentant d'imposer sa liste de «lauréats». Ce qui, au final, donne lieu à des situations sociales explosives, une perte de confiance dans l'Etat, et des fuites en avant de responsables seulement chargés de gérer le bien de la communauté.

Quant aux déclarations entendues çà et là sur des distributions par milliers de logements sociaux, souvent, elles ne sont faites que pour dire que «chacun doit attendre son tour», une manière comme une autre de négocier une paix sociale et de gérer les incohérences d'un secteur dépassé par les terribles enjeux politiques nés justement de l'incapacité des responsables à gérer une crise du logement qui ne peut être combattue comme on combat un virus, mais comme un fait social et économique qui a ses propres règles de gestion et de maîtrise. On ne gère pas une crise urbaine avec une exacerbation de la crise du logement en laissant des cases vides, qui vont nourrir toutes les rancœurs, toutes les dérives sociales.