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Petites actualités de la féodalité Nationale

par Kamel Daoud

C'est donc l'été. Et parce que le pays n'a pas d'éclairage, il bruit de rumeurs : un coup d'Etat avorté contre Bouteflika, une bataille à coups de feu entre Palais, des généraux limogés ou pas, des têtes. Dans le tas, Benyounès, l'homme qui a le plus soutenu Bouteflika avant que Bouteflika ne le jette. C'est ce qui a retenu le plus l'opinion. D'abord des islamistes qui croient que le sieur a été puni pour avoir tenté de mettre de l'ordre dans le commerce des alcools, puis des observateurs qui décodent derrière la mise à rue, une punition des lobbys de la rente des contrats stratégiques alimentaires externes. Dans le fond cela se rejoint : il est puni peut-être pour les deux : par cette alliance entre islamisme et affairismes, les uns gérant Dieu, les autres la monnaie, les deux sur le dos des serfs. Et dans le tas, on a encore puisé dans les ex du RCD pour meubler. Cela ne change pas, sauf pour Benyounès qui incarne désormais le destin triste de ceux qui ont tendance à croire que ce régime n'est pas ingrat, est rationnel, est bon au fond, est solide, est propre ou est raisonnable. Ce genre de démocrates qui veulent sortir du fatalisme de leurs pairs assis dans l'opposition mais qui n'aboutissent qu'à la tristesse au frais de leur illusion quant à la nature d'un régime mauvais par essence. Ces «bonnes volontés » dissidentes qui finissent par être utilisées, usées puis jetées. Et cela provoque une sourde jubilation : chez les opposants au régime qui tiennent la preuve de l'inutilité de trahir pour construire, et chez les gens du régime qui assouvissent une sourde vengeance plébéienne d'analphabètes.

Car ce lien maudit entre clercs et régime est ancien depuis la guerre de libération : il a ses rites : bleuite (décimation d'intellectuels soupçonnés de trahison), strangulation (Abane) ou mercenariat avant divorces retentissants. Cela ne change pas. Benyounès rejoindra l'armée des éteints nationaux et préfèrera se taire et sauver sa vie à défaut d'avoir pu sauver son poste.

Outre cela le pays est dans sa course folle vers le mur et on attend tous ce que Dieu décidera car c'est le seul qui semble avoir le droit de vote dans ce pays. Pas de perspectives, pas d'ambition, pas de solution, pas de rétraction. C'est le temps immobile. Alors le pays tourne son oreille vers les palais et leurs rumeurs. Spectacle en contraste avec notre manque d'avenir : rumeurs de morts, de généraux licenciés, de coups de feu, de soirées folles et sanguines. Tout ce qui fait la vie et la mort d'une monarchie et de ses Oufkir (s).

Ou, pour être précis, d'une féodalité. Avec terres, serfs et coups de colères.