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Hollande, le doigt dans la succession ouverte d'Alger

par Kamel Daoud

C'est la rumeur du mois devenue information : François Hollande, le président français, annoncé mi-juin en Algérie. Pour quelle raison ? Les siennes et celle des nôtres. C'est-à-dire celle du régime au commande : une sorte de lifting d'image, de démonstration de force face aux adversités montantes, de « fréquentabilité ». C'est un peu la vieille méthode des dictatures : démonter la santé par la fréquentabilité. Formule plus méchante : quand De Gaulle vous serre la main, cela veut dire que les autres « ont compris » et que votre main serre la sienne. Car, mis à part cette rumeur, il n'y a pas de signe d'activités politiques démontrant la vie ou la mort chez nous. D'ailleurs, quand vous vous promenez dans les pays des autres, on ne vous demande plus si votre pays va bien, mais comment va votre Président. Vous songez alors à de l'humour, un peu de colère, une dose de silence ou à changer de conversation ou de peau. La France de Hollande fera-t-elle l'erreur de venir prouver la vie d'autrui et ses capacités motrices ? Pourquoi pas. Ce pays s'ennuie, lui aussi, manque de sens, il est assis.

Question violente et irrespectueuse : décolonise-t-on jamais au final ? Ne réédite-t-on pas les noces violentes des couples ? Rupture, distance, bavarde, dédommagements, haines, puis lente distance, jeu de dominations et de rébellion, souvenirs manipulés, puis langues, puis rites d'indifférence, puis apparences aménagées, mariages tierces puis retour aux raisons, froidures, intérêts, fourberies puis lents vieillissements, séductions séniles puis lucidités sur les pertes et profits et enfin équilibre dans les formes et, enfin, visite d'hôpital, soucis de santé partagés et étonnants soutiens mutuels. Le régime actuel, face à la France, a la psychologie fascinée du décolonisateur. Il a chassé la France mais elle reste une nécessité pour son mythe d'entretien. A la fin, tout le monde se soigne en France. Pas des blessures de guerre mais des blessures du temps. Rires. Jaunes. Il ne s'agit pas de « politique », de remise en question de la guerre de Libération ou de harkisme esthétique, mais d'une sombre facette chez le libérateur quand l'histoire devient du temps et le mythe un galon. Le libérateur finit toujours seul entre un colon qui a chassé et un peuple qu'il n'aime pas. Alors, lentement, il s'enfonce dans le mimétisme et la corvée de la gestion des indépendances. De la gloire à l'intendance. Cela finit par vous faire goûter à l'aigreur. A écrire un jour : « Le colon et le colonel : âge et jumelage ».

Et pour notre visite de juin ? C'est seulement une rumeur qui peut devenir une erreur, selon les Algériens qui attendent un changement de leur vivant. Du point de vue de la psychologie, la rumeur démontre surtout que le temps ne passe pas, qu'il n'y pas de solution et que la vie après la mort est étonnamment longue en Algérie. On en arrive à spéculer sur le déplacement de Bouteflika en France puis à spéculer sur les déplacements de « Val-de-Grâce » pour sauver Alger. Conclusion: Hollande aurait dû ne pas mettre le doigt, ouvertement, dans la succession ouverte d'Alger. C'est un mauvais calcul.

Lassitude.