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L'humilité des braves

par Ahmed Farrah

Heureusement que la vie est irisée, elle n'est pas que blanche ou que noire.

Pour les moins nihilistes et les optimistes, elle est aussi nuancée et colorée. Si le mal de la médiocrité et de l'avidité cupide s'est installé et s'est diffusé jusqu'au cœur, qui bat pour vivifier ce corps sans rachis et sans moelle, l'âme ne l'a pas encore quitté et ne le quittera pas tant qu'il y aura la volonté de ceux qui veillent sur lui. Le corps « Algérie » est né plusieurs fois de ses cendres utérines, et renaîtra s'il le faut, encore et encore de sa matrice fertile. C'est l'Histoire millénaire qui le crie, pour le faire rappeler à l'amnésie, la vraie ou l'intentionnelle. Que se taisent les hypocrisies des tenants de la voûte du ciel, elle ne tombera pas sur les cimes des chaînes de montagnes. On ne falsifie pas l'Histoire, il est inutile de la gommer et de la réécrire au bon gré du maître des étoiles et des galons de circonstance. Elle est ce passé qui s'est moulu dans le temps chronologique qu'on ne peut pas arrêter pour le calquer ou le transcrire, elle s'étend, elle voyage à l'opposé du sens des vies humaines. Des braves, acteurs et actifs dans la délivrance du corps, n'avaient pas hésité un moment à venir le secourir et l'émanciper de ceux qui se le sont approprié pendant un siècle et un tiers de siècle. Ces hommes et femmes n'avaient pas eu dans leur esprit la moindre idée de ce que leur entreprise allait bouleverser et changer le cours du temps et de la géographie.

Ils n'espéraient rien pour eux personnellement, leurs vies ne valaient pas leurs existences atrophiées et ligotées. La donner, pour que renaissent les espérances, était leur seul songe qui les poursuivait même éveillés. Beaucoup d'entre eux sont partis avant même de voir leurs rêves se réaliser, la destinée a écrit leur destin de martyrs et de gloire éternelle. Ceux-là peuvent nous interpeller, de là où ils sont : de leurs tombes connues ou dans les maquis oubliés et omis. Leur sang a abreuvé cette terre sur laquelle germe l'espoir de la plénitude et de la vie.

D'autres, une fois la mission terminée, le corps libéré de son étreinte, ils ont passé la main à ceux qui voulaient continuer le chemin vers la lumière et la prospérité des indigènes, indigents et démunis. Ces braves qui ont affronté la machine génocidaire, les mains nues et le cœur plein de cran, vaillants et vrais dévoués pour la patrie, héros de l'épopée libératrice, ont quitté les planches et les lumières de la scène, pour vivre cachés à l'abri des mondanités et des jours festifs : ils ont choisi l'humilité à l'arrogance, la simplicité à la prétention, ils n'ont cherché ni les honneurs, ni la reconnaissance, ni l'hommage. Ils estiment avoir fait leur devoir de patriotes, ils n'ont rien attendu en retour, ils ont reconstruit leurs repères à la sueur de leurs fronts. Pour eux, la vie est un cadeau de Dieu, ils ont vu leurs frères de combat mourir sur leurs bras, déchiquetés par les obus et les bombes, morts victimes innocentes et trahis sous les mains des leurs, touchés par la bleuite. Les guerres n'ont jamais été propres et ne le seront jamais.

A ceux-là, les indignés d'aujourd'hui, qui vivent la trahison en relève, l'usurpation de l'histoire, la contrefaçon des statuts, l'histoire héritée en fonds de commerce, et les mensonges de ceux qui se sont donné le monopole du patriotisme qu'ils n'ont jamais connu, la patrie leur doit hommage et leur rend leur rang au panthéon de l'Histoire. Gloire aux martyrs et respect aux authentiques combattants de la liberté retrouvée, qui n'ont jamais rien demandé pour leur jeunesse sacrifiée pour que vive la patrie.