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De la fraude

par Bouchan Hadj Chikh

Faudra bien se décider un jour. Et les jours suivants. Soit on traîne tous les journalistes qui dénoncent des scandales devant les tribunaux, pour diffamation, soit se décider à documenter les actes incriminés et juger les coupables. Mais l'on ne peut plus vivre ainsi à lire, chaque jour que Dieu fait, des articles sur les scandales sans que rien ne se passe. Ni du côté des officiels ni de celui de la justice, encore moins de la police. Comme si cela allait de soi. Sauf quand les «affaires» éclatent hors notre territoire. Ou qu'elles représentent, à un moment ou un autre de notre vie politique, une soupape, actionnée par le pouvoir, pour expulser le trop-plein de vapeur. Pour nous enfumer, dirait-on vulgairement parlant.

Mode de gouvernance ?

Il existe une culture et une hiérarchie du pillage. Gage de paix sociale quand il n'est pas éventé. C'est triste, mais c'est ainsi. Les bons juges, eux, existent bien. Font leur travail, très souvent. Mais agir sans dossier, sans identification des méfaits, comment le pourraient-ils ? Faute de preuves ? comment les obtenir sans enquêtes soutenues ? -, ils sont bien obligés de tenir pour enrichissement miraculeux, relevant de l'immatériel, des turpitudes. Par quel miracle, un employé aux revenus somme toute modestes se transformerait-il en propriétaire d'une villa évaluée à plusieurs milliards de centimes ? Comment un ancien fonctionnaire de l'Etat se retrouvera-t-il bénéficiaire d'un prêt bancaire pour lancer une microentreprise de transport quelques mois après sa sortie de prison où il purgea plusieurs mois pour prise d'une «rétribution» destinée à l'encourager à revoir une feuille d'impôt ? Réponse aisée. Il lui a suffi de déménager d'une ville à une autre. Un «expert» en embrouilles, autorisé à vendre l'appartement de son beau-frère qui, quelques mois plus tôt, oublia, dans le processus de la transaction, de transférer les sommes acquises à qui de droit.

Pourquoi se gêner, en effet ? Que représentent ces «larcins» ou indélicatesses comparés aux scandales que rapporte la presse. Scandale de la taille de montagnes. Quand ils sont divulgués, l'incrédulité et l'effroi prennent le citoyen à la gorge. Comment peut-on, toute honte bue, imaginer «réclamer» des faveurs ou des pourcentages sur des contrats d'Etat ?

Voici quelques années, je demandais à un honnête haut fonctionnaire de l'Etat, qui habitait un modeste appartement, quelle était donc la recette pour réaliser un détournement parfait, sans bavure, sa réponse fut: «avant toute chose, comme pour un hold-up, assurer la ?fuite'. Dans le cas d'un détournement, mettre en place le système de transfert, de planques de fonds, s'assurer la complicité de personnes clés, enrober cette richesse sous le couvert d'une activité économique pour s'assurer l'impunité même en continuant de vivre dans le pays». Comme cet «homme» qui utilisa la vente de l'appartement de son beau-frère pour en acheter un pour lui. Avec voiture, pour faire businessman. Sans choquer personne ni pousser personne à se poser des questions. Que l'on se pose ailleurs, sous d'autres cieux.

Al Capone n'est pas tombé pour crimes de sang. Il a purgé une longue peine de prison pour fraude fiscale. C'est bête. Mais il ne put prouver l'origine de son ostensible richesse. Ni écoutes, ni poursuites échevelées dans les rues de Chicago. Il a suffi de peu de choses pour le «serrer», pour utiliser le vocabulaire mafieux et policier. Des paires d'yeux. Simple comparaison de son train de vie avec ses ressources déclarées. Faute de concilier les deux, il purgea des années de prison. Seul moyen légal pour neutraliser l'emblématique gangster.

Depuis, la fraude fiscale et les escroqueries sont devenues courantes sous toutes les latitudes. Quiconque se fait prendre s'acquitte d'une amende. Lourde. Pour lui faire passer le goût des exercices comptables pas tout à fait clairs. Mais se repent-on jamais totalement, définitivement de toutes tricheries ?

Le crédo est plus fort: s'enrichir, vite. A n'importe quel prix.

Il y a si peu de dynasties construites sur le labeur de plusieurs générations de chefs d'entreprises.

Le monde va vite et les malhonnêtes encore plus vite. L'homme dont je parlais plus tôt, tout aussi pressé, n'a pas pu assister à la mise en terre de sa mère, décédée la veille. Il ne voulait pas rater, avec son épouse, le vol d'un avion qui devait l'emmener en terre sainte pour une Omra. Pour se purifier de ses péchés.

Pensant que l'Eternel a la mémoire courte. Comme l'Etat.

Et qu'il obtiendra, là aussi, au culot, l'absolution.

Le pauvre homme. Méprisable.