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Houari Boumediene ne viendra pas ce soir

par Ahmed Farrah

Dans la jungle, terrible jungle, le lion ne reconnaîtra plus ses congénères, ni ceux de son temps ni ceux de son espoir : emporté et enfoui avec lui dans le creux de l'abîme. Le monde a changé, les gens aussi. Le temps chronologique s'écoule et les personnes s'y coulent dedans, épousent ses moindres recoins et se moulent à l'endroit et à l'envers. Ça a été tout le temps ainsi, rien ne s'invente, l'homme est un éternel opportuniste à la quête de la satisfaction instinctive de son ego insatiable. Que reste-t-il des idéaux affichés des hommes qui ont fait l'Histoire récente de ce pays ? Ils se sont livrés une guerre impitoyable pour arriver au foyer du summum de la décision et du pouvoir. Ils ont décidé pendant des décennies pour nous et ils décident encore aujourd'hui et peut-être demain aussi. Ils nous écrivent des textes et des histoires à volonté et les gomment sans que l'on sache pourquoi. Pour eux, notre avis est sans importance, on ne compte pas, on est transparent comme du sable quartzeux que leur souffle transporte et transpose selon le désir et le caprice du seigneur des anneaux. Hier, ils glosaient, tous, au son du canon les vertus d'un socialisme bâtard et exalté que le lion avait décidé, de lui même, en tapant avec son poing sur ce qu'il avait sous la main. Nous avons décidé ! plutôt il avait décidé, tout seul et sans demander l'opinion de personne. Magnanime, il voulait nous offrir le bonheur et l'épanouissement à sa façon, comme il le concevait, comme il voulait qu'on soit. Aujourd'hui, tous dansent au son de la cornemuse, l'air est gratuit, il sort du puits, les souffleurs ne manquent pas, comme des nuées de sauterelles qui ravagent tout sur leur passage. Ils n'ont rien laissé de ce que tu avais décidé, ils ont tout bradé, tout effacé, ils ne jurent que par ce libéralisme fait pour eux, et pas pour tous. Tout s'achète avec du fioul et de l'air fossile, même la paix est affrétée en concession à durée indéterminée. Leur commerce est florissant et juteux, ils savent racheter ce qu'ils avaient vendu hier, les mines, les aciéries, la tchatche...et sont fiers de le faire. A ton époque, tu offrais les clés des masures du village socialiste (eux, les pauvres socialistes, ils ne savaient même pas de quoi il s'agissait!) mais aussi la terre des autres, les tracteurs et les bénéfices fictifs aux agriculteurs: aujourd'hui, c'est la banque agricole qui se charge de distribuer l'air de la roche pour produire la pomme de terre. Le blé vient encore en bateau céréalier. Rien n'a changé dans ce registre depuis ton départ : là ils te sont restés fidèles. Les écoles que tu as ?'moyenorientalisé'', ont produit une université bègue, myope et stérile, mais prolifique en planche à papier certifiant, de jour comme de nuit. Comme l'hôpital a eu aussi son petit frère adoptif du jour. La médecine que tu voulais gratuite, mais à la soviétique, ne t'a pas sauvé la vie et ne sauvera pas celle de ceux qui t'ont succédé, eux ils le savent. Ils se font soigner ailleurs chez des Docteurs. Ceux d'ici, et pour beaucoup d'entre eux, ne sont que de mercantiles guérisseurs et rebouteurs. Comment ne le seraient-ils pas ? Eux, les plus nombreux, qui voient en chaque patient un client à qui lui soutirer le billet vert, plutôt que la douleur et le mal qui l'étreint. Comment expliquer qu'un chirurgien conventionné avec un hôpital fasse sortir un malade des urgences pour lui donner rendez-vous à son cabinet privé, pour ensuite l'opérer dans ce même hôpital public, mais après un marchandage d'épicier de quartier, au vu et au su de tout le monde et avec la bénédiction de certains responsables d'hôpitaux ? L'assurance maladie est une autre arnaque, seules les miettes sont remboursables: hallucinant ! ça ne se passe que dans les pays paumés: une personne, cotisante, se fait opérer dans une clinique privée agréée par le ministère de la Santé, au lieu de présenter seulement sa carte'' Chifa ?', il lui est demandé de payer, illico presto cash et ne sera pas remboursé.

Il en est de même pour la lunetterie, les analyses médicales, les scanners, les prothèses dentaires, auditives?etc. c'est un monde hybride, de colère, de dépit, d'exaspération de ressentiment et de haine. Où est la solidarité et l'humanisme de nos parents et grands parents, pourquoi bon sang ! Ailleurs, des «MÉCRÉANTS», se sont détachés de la puanteur matérielle, de la nauséabonde cupidité pour aller risquer leurs VIES dans des endroits maudits d'endémie et de pandémie où le tueur Ebola sévit. De jeunes médecins bénévoles sillonnent le monde perdu, pour être d'abord utile à l'humanité, ceux là ont fait le serment d'Hippocrate loin de l'hypocrisie dans laquelle on baigne. Voila où en est la situation de l'État que tu as voulu bâtir, depuis que l'ambition t'a habité, sans les idées de Abane Ramadane, de Ferhat Abbès et d'autres ..., et que tu as annoncé un certain 19 juin 1965. On t'a berné un 27 décembre 1978, puis on t'a asséné le coup fatal, le lion est mort ce soir et les hommes tranquilles s'endorment.