Dans la jungle, terrible jungle, le lion ne reconnaîtra
plus ses congénères, ni ceux de son temps ni ceux de son espoir : emporté et
enfoui avec lui dans le creux de l'abîme. Le monde a changé, les gens aussi. Le
temps chronologique s'écoule et les personnes s'y coulent dedans, épousent ses
moindres recoins et se moulent à l'endroit et à l'envers. Ça a été tout le
temps ainsi, rien ne s'invente, l'homme est un éternel opportuniste à la quête
de la satisfaction instinctive de son ego insatiable. Que reste-t-il des idéaux
affichés des hommes qui ont fait l'Histoire récente de ce pays ? Ils se sont
livrés une guerre impitoyable pour arriver au foyer du summum de la décision et
du pouvoir. Ils ont décidé pendant des décennies pour nous et ils décident
encore aujourd'hui et peut-être demain aussi. Ils nous écrivent des textes et
des histoires à volonté et les gomment sans que l'on sache pourquoi. Pour eux,
notre avis est sans importance, on ne compte pas, on est transparent comme du
sable quartzeux que leur souffle transporte et transpose selon le désir et le
caprice du seigneur des anneaux. Hier, ils glosaient, tous, au son du canon les
vertus d'un socialisme bâtard et exalté que le lion avait décidé, de lui même,
en tapant avec son poing sur ce qu'il avait sous la main. Nous avons décidé !
plutôt il avait décidé, tout seul et sans demander l'opinion de personne.
Magnanime, il voulait nous offrir le bonheur et l'épanouissement à sa façon,
comme il le concevait, comme il voulait qu'on soit. Aujourd'hui, tous dansent
au son de la cornemuse, l'air est gratuit, il sort du puits, les souffleurs ne
manquent pas, comme des nuées de sauterelles qui ravagent tout sur leur
passage. Ils n'ont rien laissé de ce que tu avais décidé, ils ont tout bradé,
tout effacé, ils ne jurent que par ce libéralisme fait pour eux, et pas pour
tous. Tout s'achète avec du fioul et de l'air fossile, même la paix est
affrétée en concession à durée indéterminée. Leur commerce est florissant et
juteux, ils savent racheter ce qu'ils avaient vendu hier, les mines, les
aciéries, la tchatche...et sont fiers de le faire. A ton époque, tu offrais les
clés des masures du village socialiste (eux, les pauvres socialistes, ils ne
savaient même pas de quoi il s'agissait!) mais aussi la terre des autres, les
tracteurs et les bénéfices fictifs aux agriculteurs: aujourd'hui, c'est la
banque agricole qui se charge de distribuer l'air de la roche pour produire la
pomme de terre. Le blé vient encore en bateau céréalier. Rien n'a changé dans
ce registre depuis ton départ : là ils te sont restés fidèles. Les écoles que
tu as ?'moyenorientalisé'', ont produit une université bègue, myope et stérile,
mais prolifique en planche à papier certifiant, de jour comme de nuit. Comme
l'hôpital a eu aussi son petit frère adoptif du jour. La médecine que tu
voulais gratuite, mais à la soviétique, ne t'a pas sauvé la vie et ne sauvera
pas celle de ceux qui t'ont succédé, eux ils le savent. Ils se font soigner
ailleurs chez des Docteurs. Ceux d'ici, et pour beaucoup d'entre eux, ne sont
que de mercantiles guérisseurs et rebouteurs. Comment ne le seraient-ils pas ?
Eux, les plus nombreux, qui voient en chaque patient un client à qui lui
soutirer le billet vert, plutôt que la douleur et le mal qui l'étreint. Comment
expliquer qu'un chirurgien conventionné avec un hôpital fasse sortir un malade
des urgences pour lui donner rendez-vous à son cabinet privé, pour ensuite
l'opérer dans ce même hôpital public, mais après un marchandage d'épicier de
quartier, au vu et au su de tout le monde et avec la bénédiction de certains
responsables d'hôpitaux ? L'assurance maladie est une autre arnaque, seules les
miettes sont remboursables: hallucinant ! ça ne se passe que dans les pays
paumés: une personne, cotisante, se fait opérer dans une clinique privée agréée
par le ministère de la Santé, au lieu de présenter seulement sa carte'' Chifa
?', il lui est demandé de payer, illico presto cash et ne sera pas remboursé.
Il en est de même pour la lunetterie, les analyses
médicales, les scanners, les prothèses dentaires, auditives?etc. c'est un monde
hybride, de colère, de dépit, d'exaspération de ressentiment et de haine. Où
est la solidarité et l'humanisme de nos parents et grands parents, pourquoi bon
sang ! Ailleurs, des «MÉCRÉANTS», se sont détachés de la puanteur matérielle,
de la nauséabonde cupidité pour aller risquer leurs VIES dans des endroits
maudits d'endémie et de pandémie où le tueur Ebola sévit. De jeunes médecins
bénévoles sillonnent le monde perdu, pour être d'abord utile à l'humanité, ceux
là ont fait le serment d'Hippocrate loin de l'hypocrisie dans laquelle on
baigne. Voila où en est la situation de l'État que tu as voulu bâtir, depuis
que l'ambition t'a habité, sans les idées de Abane Ramadane, de Ferhat Abbès et
d'autres ..., et que tu as annoncé un certain 19 juin 1965. On t'a berné un 27
décembre 1978, puis on t'a asséné le coup fatal, le lion est mort ce soir et
les hommes tranquilles s'endorment.