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Yémen, le «Vietnam» arabe ?

par Moncef Wafi

Et si finalement les Arabes vont se retrouver avec leur propre «Vietnam» sur les bras. L'hypothèse est plus que crédible car après plus de 12 jours de l'opération militaire «Tempête de fermeté» menée par l'Arabie saoudite, la coalition arabe commence à s'enliser dans le bourbier yéménite. Alors que Ryad n'envisageait pas, dans un premier temps, une intervention terrestre contre les rebelles houtis, se contentant de les bombarder, elle en est, aujourd'hui, à solliciter ses alliés sunnites pakistanais d'envoyer des troupes au sol.

Comme toute stratégie militaire, les premiers plans d'action sont souvent battus en brèche par la réalité des forces en présence et l'état-major saoudien a certainement sous-estimé la riposte des Houtis appuyés par l'armée, restée fidèle à l'ancien chef de l'Etat, Ali Abdallah Saleh. Une rébellion qui résiste aux bombardements des avions arabes mais aussi à l'avancée des troupes des «comités populaires» partisans du président sortant Abd Rabbo Mansour Hadi. Sur le terrain, des combats meurtriers font rage dans le sud du pays faisant près de 100 morts ces dernières 24 heures, alors que l'aide humanitaire pour les populations civiles reste assujettie au bon vouloir saoudien. A ce propos, la demande russe d'une trêve humanitaire pour secourir les civils et rapatrier les étrangers a surpris les Saoudiens qui estiment que tout arrêt des combats permettra d'approvisionner les Houtis en armement.

L'éventualité de l'envoi de troupes arabo-musulmanes sur le sol yéménite est fortement pressentie, avec la sollicitation de Karachi mais aussi par la volonté du Caire d'engager son infanterie pour protéger le détroit de Bab El-Mandeb, quatrième passage maritime le plus important au monde en termes d'approvisionnement énergétique. Le 22 mars dernier, les milices chiites houties ont occupé une majeure partie de la ville de Ta'izz, au sud-ouest du pays, à quelques kilomètres du détroit de Bab El-Mandeb, prenant ensuite le contrôle du port de Mocha. Un enjeu stratégique et économique puisque, en 2013, ce détroit a vu passer quotidiennement 3,8 millions de barils de pétrole brut et raffiné, dont 2,1 millions de barils en provenance du golfe Arabo-Persique, à destination du canal de Suez, du pipeline Sumed (Suez-Méditerranée) puis de l'Europe et de l'Amérique du Nord et le reste vers les marchés asiatiques. C'est dire l'importance de ce détroit s'il venait à être contrôlé par la rébellion chiite.

Le pays potentiellement le plus affecté par une situation d'instabilité autour de Bab El-Mandeb semble être l'Egypte dont les finances publiques dépendent fortement des revenus liés au canal de Suez et au pipeline Sumed. Une Egypte qui a déjà envoyé plusieurs frégates dans le détroit pour d'ores et déjà le sécuriser, en attendant une probable invasion terrestre de son armée. Et c'est cette éventualité qui fait craindre le pire puisqu'on pourrait assister à une guerre totale entre les Arabes sur le sol yéménite sur fond d'enjeux stratégiques, économiques et confessionnels.