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La justice algérienne : espace du doute national

par Kamel Daoud

Procès Sonatrach. Le un. Le vingt. Comme le procès Khalifa ou autres. En règle générale, la perception algérienne a les mêmes réflexes : peu de confiance, grimace nationale, refus, critiques et soupçon. La cause ? Le vieux mécanisme du doute : pour qu'un procès retentissant soit investi de confiance et d'attente, il faut commencer par le premier : 1962. Solder tout les dossiers avant d'en arriver au dernier. Ensuite, il faut les juger tous, un par un, morts, vifs, assis, malade ou retraité. La psychologie de l'Algérien attend un procès du régime en entier, de l'histoire de tous. Sinon, aucun procès n'est valable si on ne commence pas par l'instant zéro de la naissance du pays. D'abord le procès du vol des bijoux des Algériennes, avant d'aboutir à celui de Sonatrach par les siens. Tout ou rien. Nous sommes tous nés égaux, au même moment, et nous attendons le procès unique, total, absolu et collectif de tous par tous. C'est avec les non coupables que l'on va décider de bâtir la terre, enfanter les descendants et construire du sérieux, de l'honnête, du juste. A la notion de justice manque la vertu du juste. Puisqu'on ne peux pas juger l'histoire, le régime et les moteurs, pourquoi croire et juger les fusibles, les reflets et les photocopies ?

Est-ce juste comme attitude ? Extrême.

Deux procès donc : à chaque fois le régime ouvre l'un, l'opinion campe l'autre. Le régime a ses juges, ses procureurs, ses jurys et son tribunal. L'opinion a ses juges, ses avocats, sa plaidoirie, ses chefs d'inculpation. Les deux ont des verdicts qui précèdent le procès. L'un juge au nom de ses intérêts et l'autre de sa mémoire et ses souvenirs de sceptique consacré. Pour Sonatrach, c'est donc comme pour le reste. Hier le ciel a été beau. Des champs verts avaient envie d'être infinis. La température était celle d'une déclaration d'amour faite entre deux bus. Et le pays était somnolent. Le procès intéressait peu.

On sait à quoi s'en tenir, dit la rumeur aux cheveux. La règle est que plus le procès est grand, plus les inculpés sont petits. Lieu de doute, espace du soupçon, nombril de notre monde. Là où fut étranglé Abane, enterré Khalifa, escamoté Boumaârafi. La justice algérienne est le lieu des noces barbares du régime avec les siens.

C'est le ventre qui mange le ventre. C'est le premier lieu de la perte de foi de l'Algérien dans ce pays et dans les siens depuis l'indépendance. En gros, c'est une maladie de l'âme que chaque procès lourd remet au goût de la grimace. La règle est quand le peuple bouge, le régime cherche qui est derrière mais quand la justice bouge, le peuple cherche qui est derrière. Ainsi de suite. Chronique de basse tension sur une banalité récurrente.