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Le soleil sera gratuit cet été

par Moncef Wafi

Bonne nouvelle pour les bronzés ! L'Etat a décidé de rendre les plages du Bon Dieu, au petit peuple. Selon le gouvernement, la mer sera, de nouveau, gratuite pour les Algériens, après avoir été privatisée, des années durant, par une poignée d'autres Algériens qui ont en interdit l'accès. Finis les solariums payants, fini le racket imposé aux vacanciers venus profiter du soleil et de la mer du pays. Fini aussi le temps où il fallait payer jusqu'à mille balles, par tête de pipe, pour bronzer sur des plages sales et faire trempette dans une eau douteuse. Le laisser-aller des localités, l'absence de l'Etat ainsi que la permissivité de certains responsables, ont donné naissance à une maffia des plages qui squattait l'ensemble du rivage, par la force, parfois, piétinant les cahiers de charges des concessions pour s'approprier tout le sable. Et gare à celui qui revendiquait une part gratuite du soleil ! Cette annexion du rivage a conduit les familles, de l'Algérie d'en bas, à se rabattre sur les plages non-surveillées, bouffeuses de mauvais nageurs. Et il y a eu foule aux cimetières, l'été dernier, parce que des énergumènes ont décidé que la mer, le sable et le soleil soient leurs propriétés personnelles.

Pour peu que les actes suivent les paroles, pour changer une fois, l'Algérien recouvrera, peut-être, pour cet été, un chouia de sa dignité, foulée aux pieds du plus fort. Ces concessions sont devenues, à force de compromis et de compromissions, des preuves de la faiblesse d'un Etat qui préfère détourner les yeux que d'appliquer la loi parce que coupable de mauvaise gestion. Rendre la plage aux citoyens est la moindre des choses qui n'aurait même pas lieu d'être si la loi était au-dessus de tous. Mais voilà, en absence d'une justice indépendante et forte, capable de condamner sur la base de textes et non de coups de téléphone, certains peuvent se permettre de piétiner le peuple, en toute impunité.

La plage n'est qu'un aspect de cette absence totale de l'Etat, dans la gestion quotidienne d'une nation. On ne parle, même pas, de justice sociale, d'équité ou de démocratie mais de trottoirs, d'espaces publics, de dos-d'âne, c'est dire que la déliquescence de l'Etat enlève à ses représentants, toute autorité.

L'Algérien vaincu par son incivisme ne se fait pas prier pour profiter de cette vacance et de privatiser l'espace commun, à ses propres fins. Que de trottoirs n'ont-ils pas été squattés par des terrasses de café ou des places de stationnement occupées par des bacs de fleurs ou de chaises pour interdire à l'autre de garer. Combien de ralentisseurs sauvages ont été érigés, en toute illégalité, à la porte de chacun pour protéger son enfant des chauffards de la ville. Et que dire de ces gardiens de parking qui font office d'horodateur. Toutes ces agressions ont lieu, devant le regard absent et parfois complice de l'autorité civile. La mer est un droit que nul ne peut contester, comme celui de stationner où on veut du moment qu'on n'enfreint pas la loi et comme de marcher sur un trottoir et ne plus être obligé de poser sa semelle sur le macadam parce que quelqu'un a décidé de vous le prendre de force. Des petits détails qui font les grandes différences entre un pays développé et celui qui le regarde, en faisant marche arrière.