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Un cerf-volant inquiet dans une tasse de café

par Kamel Daoud

Ciel gris. Avec une sorte de vent chaud qui vous étouffe comme une laine. Une sorte d'été vagabond, oublié par le temps. Un automne à sec. Pas d'hiver pour le moment. Que des nuages qui ressemblent à des moutons en colère et qui s'en vont manger les profondeurs du ciel. Au loin, une route. Des voitures en escaladent l'avant-bras comme des fourmis étincelantes et décidées. Puis, plus loin encore, la brume, puis le ciel et, derrière le ciel, nos croyances en bazar. En abîme : l'au-delà est le pays le plus surpeuplé du monde : à peine un mètre carré de libre pour un homme qui veut y aller seul sans se faire accompagner par mille guides autoproclamés, harcelant comme à la sortie d'un aéroport d'arrivée de touristes. Combien pèse le ciel ? Très lourd. Comme la terre sur le dos des décolonisés. En gros, dans la division des territoires, les « historiques » vous volent la terre et les religieux vous prennent le ciel et y campent comme des gardiens de parking sauvage, avec des gourdins et des interdits. Les trottoirs du ciel. Rêve philosophique du chroniqueur : découpler le religieux de la quête spirituelle. Démonopoliser l'âme, lui rendre sa liberté et la suivre dans sa quête antique qui ne passe plus par le dogme. Comment chercher Dieu et le sens sans marcher sur le corps des allongés ? Comme construire une philosophie qui soit une dignité et pas une soumission en prologue ? Comment sentir le monde comme mystère vif sans que viennent y jacasser des croyances usées et des prêcheurs hurlants ? Rêver d'immobilité, d'une sorte de religion qui soit acceptation, calme, paix et équilibre. Rêver de discuter avec le ciel et non de le prier. Car ce qui gêne dans l'au-delà, c'est la surpopulation et le brouhaha. Négocier avec le ciel, lui parler. Lui contester son éternité par ce droit que vous donne la condition de mortel : vous êtes le seul à mourir et donc vous êtes le seul digne de poser la question, de se rebeller ou de se révolter ou de refuser.

De la poésie ? Non. Il s'agit de la question la plus insistante pour le chroniqueur : comment interroger le monde et le ciel sans abdiquer, se soumettre ou mentir et se défaire ? Comment aller vers Dieu ou en revenir, sans nier l'homme en soi et à ses côtés ? Comment lier (le mot est l'étymologie du mot religieux) ciel et terre sans se lier les mains derrière le dos ? Comment sortir du dogme sans déboucher dans une voie de garage, un marécage asséché ou dans le dandysme crépusculaire dans les banlieues de l'Occident? Comment interroger le ciel sans perdre sa voix ?

Ciel gris. La terre est une histoire et le ciel est son essence. On aime, depuis les âges anciens, lire l'avenir dans les astres. Mais les astres que lisent-ils en nous regardant vivre et mourir ? C'est ce qui m'intéresse.