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D'Ibn Batouta à Ibn batata

par Moncef Wafi

« S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche» ! La célèbre réplique de Marie-Antoinette, la dernière reine consort de France et de Navarre, un soir d'octobre 1789 alors qu'une manifestation pour le pain se déroulait aux grilles du château de Versailles, prend tout son sens en Algérie, pays où la pomme de terre se vend à 100 dinars. «Si on n'a pas de batata, que va-t-on manger, madame ?». Des hamburgers, des entrecôtes, un méchoui ou un rôti. Le menu de l'Algérien moyen est composé de pain et de pommes de terre. Lui enlever un de ces ingrédients, c'est le condamner au régime Dukan, mais avec un «c» dans notre cas. Le plus malheureux, c'est qu'après 52 ans d'indépendance, alors que le monde essaye de coloniser l'espace, on en est encore à discuter du prix de la frite. Aberrant. Désarmant. L'humanité vit, respire et produit et nous, nous méditons toujours sur ces mécanismes invisibles qui régissent l'univers des prix. Cent gouvernements, mille ministres, un million de restructurations pour en être là aujourd'hui à essayer de comprendre les raisons obscures et hautement intellectuelles du prix de la pomme de terre. C'en est presque risible si l'heure n'était pas grave puisque, comme il existe des émeutes du pain, il existe aussi des émeutes de la patate. Qu'on nous explique qu'avec tous les milliards engloutis par le monde agricole, les dettes effacées des paysans, on se retrouve à regarder à deux fois avant d'acheter un kilo de pomme de terre. On parle bien de batata, pas de bananes, ni de kiwis ; un aliment de base pour la table des millions d'Algériens. On a eu droit à toutes les explications rationnelles et farfelues. On a convoqué des experts pour nous faire comprendre que si le prix du kilo est ce qu'il est aujourd'hui, ce n'est pas la faute au gouvernement. C'est la faute au mauvais temps, aux méchants spéculateurs, aux intermédiaires sans scrupules, aux ennemis de la Nation qui veulent créer un climat d'insurrection, aux Algériens patativores, aux insecticides israéliens, à la bulle spéculative de Wall Street, à Boumaarafi et à l'invasion des Aliens. Bref, c'est la faute à tout le monde sauf à ceux qui sont censés nous gouverner et trouver des solutions à nos problèmes. Déjà, commettre une chronique sur ce sujet, après l'interview de la sardine et le mouton qui parle, est en soit une anomalie dans un pays aux perspectives de relance aussi plates qu'un électrocardiogramme d'une momie de pharaon.

Faut-il donc convoquer un Conseil des ministres exceptionnel pour discuter de la frite et de la situation de nos frontières face aux menaces terroristes ou tout bonnement expertiser la situation, mettre le doigt, et les dix s'il le faut, pour trouver une solution définitive à ce problème. Mettre les spéculateurs au trou, les faux fellahs à l'Anem et virer tous les incompétents en costard. Maintenant, s'il n'y a plus de pain ni de pommes de terre, alors donnez-nous des brioches et l'indépendance.