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Génération Ibiza, blanche 00

par Kamel Daoud

La subvention tue le peuple. Bien nourri sans bouger, le peuple se disperse, dit la loi de l'effort. Le drapeau reste seul, sur une terre qui n'a pas où aller. Trop d'argent tue l'os. A vue d'œil, l'Algérien est déjà mort par le corps. Il n'en reste que le chiffre et l'index pour prier ou compter les jours promis après la mort. En gros, la question la plus fascinante est celle-ci : où va mener l'équation ? Celle de « l'argent contre la paix sociale ». C'est une course folle : le régime paye, la facture des dépenses sociales augmente, le peuple augmente ses demandes et s'habitue et l'un mange l'autre. Aujourd'hui, un ami raconte : « il est devenu difficile pour certains propriétaires de café de trouver des « serveurs ». Des métiers vont mourir car la notion de métier est morte. Dans les champs de récoltes à l'ouest, la mode de survie et d'employer les Subsahariens. Faute de peuple qui veut cueillir avant de mâcher. Qui va mourir en premier : le puits de pétrole ou le peuple qui le poursuit avec des cuillères et des assiettes ? Qui va s'épuiser en premier ? Question de fond pour la nation qui travaille si peu, bloquée entre le verrouillage politique, les rentes diverses, l'idée morte, le ciel poids lourd et une histoire nationale qui se raconte des histoires.

Car ça ne peut pas continuer. Un jour ou l'autre, l'un des deux va se tarir. Soit le puits, parce que le puits a une fin. Soi le peuple, car du point de vue des évolutions, un peuple sans dons, ni maitrises de métier ni créativité finit toujours par disparaître ne laissant que des chaussures qu'il n'a même pas fabriquées.

Car depuis une décennie déjà, cela ne fait qu'augmenter. Et encore plus après les « printemps arabes ». Le régime paye et vide la terre pour la posséder. L'effet baril a déjà enfanté toute une génération à la morphologie reconnaissable de loin : cheveux en ailerons de requins, yeux petits et fureteurs, bras mous, sans os, corps glissants, sang froid comme celui du reptile veuf. La génération Ibiza blanche, explique un ami. Enfermée dans le maraudage, sans but que le petit instinct sous l'aisselle. Et ce n'est pas fini : la rente, ANSEJ et argent gratuit vont produire d'autres monstres flasques pour les prochaines décennies.

Et à la fin ? L'un des deux doit mourir. En tuant l'autre. Pour le moment le pétrole tue le peuple qui s'en reproduit. Equation malthusienne. C'est intenable à long terme, mais à long terme le régime ne sera plus là : ses enfants seront partis, ses géniteurs seront morts et nous seront coincés. Et pour le moment, on paye. On soutient le sucre, l'eau, l'essence, l'électricité, les vieux, le chômeur, le logement, la station debout, le dos, les penchés, les partis, les élections, les dépenses publiques, l'air, la culture et le temps. Trop de choses à la fois.

Reprise d'une pub : en Algérie, seule l'indépendance n'a pas été achetée. Pour tout le reste, il y a le pétrole.