Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le piège médiatique de Barbès qui ne sert pas Gaza

par Kamel Daoud

Scènes de manifestations à Barbès, Paris, en France. Les photos qui ont été mises en orbite ne sont pas celles, nombreuses, des banderoles, des slogans et des vœux signant la solidarité ou appelant à la paix et à l'arrêt de la guerre. La médiatisation a mis en relief les «Allah Oukbar Children», pas les flower Children. D'où cette certitude du chroniqueur: un échec. La manifestation en solidarité avec la Palestine, en France a échoué. Pire, elle a servi les intérêts contraires: désormais, l'opinion assise et peureuse de l'Occident associera à la solidarité pro-palestinienne les mots «violence», incivisme, guerre, menace, cri, Allah Oukbar, antisémitisme et danger. Le monde des médias et des propagandes fonctionne par équations simples. Genre démocratie égale chaos chez les régimes arabes. Ou: pro Palestine égale menace, désordre et délinquance.

Et c'est triste. Car on n'en a pas conscience. On ne veut pas l'admettre et, pire encore, on fait le jeu d'un autre jeu. Les manifestations interdites en France ont mal tourné ou tourné à leur propre défaveur. Elle ont viré et pris les couleurs d'une bataille entre deux mondes, entre l'Occident et ceux qui y vivent mal et lui en veulent et à ses valeurs. Elles ont fait oublier l'injustice pour ne servir qu'à confirmer la peur. Dénoncer la guerre est désormais synonyme de faire la guerre en France. Cela a fini par aggraver le communautarisme chez eux, appelant à la confrontation et traçant les frontières d'un mur de fer et de séparation encore plus haut et plus difficile à surmonter.

Que fallait-il faire? Peut-être faire l'effort très difficile de prendre conscience. Ne pas manifester. Garder le statut de citoyens qui respectent les lois de la république qui est la leur et ainsi laisser à «l'autre» le rôle mauvais de celui qui empêche les libertés et ne respecte pas les justices. Cela aurait été intelligent. Mais la solidarité avec la Palestine est une émotion qui a souvent, tragiquement, manqué d'intelligence. Elle s'aliène désormais les opinions du monde, déjà sous tutelle des propagandes terribles. Elle ne sert pas la paix et l'image de la paix surtout et fait peur au reste du monde par ses nouvelles couleurs violentes. La «cause» a, d'ailleurs, énormément perdu de son prestige depuis une décennie. Signe des temps: on ne peut même plus le dire sans se faire lyncher, ni appeler la foule à la raison et à la ruse, sans être pendu et lapidé par les siens.

Ce qui s'est passé en France avant-hier est un désastre. Pas celui de ce pays étranger qu'est la France. Mais pour la solidarité avec la Palestine, pour les voix de paix et leur poids dans le monde pour les Palestiniens et pour l'avenir de ceux qui voudront trouver une solution. Car c'est une lourde défaite médiatique. C'est surtout un désastre pour notre image dans le monde, même si on est loin, même si on n'a pas été, même si cela nous concerne ou pas.

Des incidents mineurs que tout cela comparé à la guerre sur Gaza ? Bien sûr. Mais images majeures. Et c'est cela la défaite. Par naïveté, par emportement, par émotion, par réactions ou par prétexte, on vient desservir la Palestine et de servir les propagandes contraires. On a prêché des convaincus et on a fait peur aux gens qui étaient à convaincre.