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Pourquoi un «conseiller» à la Présidence fascine tant ?

par Kamel Daoud

Selon une légende algéroise, Mohammed M'gueddem est « tombé ». Encore une fois. C'est-à-dire qu'il a été limogé. Qui est M'gueddem ? Lui-même une légende algéroise : il n'existe pas. Ou à moitié sur terre et à moitié dans les têtes. Le système politique algérien étant bâti sur ce que le chroniquer d'El Watan, Chawki Amari, a appelé l'abus d'obéissance, ce conseiller a fini par avoir une légende, une aura, des ailes, une image et des rumeurs. Incarnant ce besoin du « politique » algérien de croire en un pouvoir « occulte », nécessité ontologique au pouvoir apparent. En gros, un avatar du « maquis ». Celui des « Frères anonymes ». Alias le DRS/ALN/MALG/OS. Donc, M'gueddem incarnait ce besoin : on le disait né d'un courant d'air et devenu maître des vents. Ancien à la SNTV ou jamais venu au monde. Gouvernant par téléphone ou par obséquiosité. En gros, Alger entretient une véritable armée de conseillers et gens occultes qui servent d'intermédiaires, de murmure à l'oreille des chevaux et de néo-MALG des affaires. Par leur biais, on obtient informations, mutations, promotions, audiences et primautés. Si M'gueddem n'existait pas, un autre aurait pris sa place. Car c'est un besoin libidinal du régime.

La preuve ? L'Algérie est l'un des pays au monde où l'on enregistre le plus haut taux d'arrestation de faux généraux, faux colonels, faux fils de ministres, fausses maîtresses, faux conseillers. La seule fonction qui n'a pas été tentée est celle de faux Président. Mais là aussi, il y a des doutes : on peut être faux Président, mais élu. Cette « informalisation » de l'Etat a conduit au pullulement des escroqueries du genre. Et tant que l'Etat est un régime de réseaux, encore plus aujourd'hui qu'hier, l'armée des « faux » sera légion.

C'est ce qui explique la fascination de quelques journaux à Alger pour le limogeage présumé de Mohamed M'gueddem. Le bonhomme a cristallisé le mythe de Raspoutine, fascine et sa disgrâce est un « événement » presque jouissif, du moins captivant ce début d'été. C'est un assouvissement dans l'espace clos du « politique » d'Alger. En gros, on veut dire que c'est l'épisode II du démantèlement de toute autre autorité que celle du « Frère » et de « Lui ». C'est le DRS civil qui tombe, en substance, le 4e opérateur téléphonique du Palais. Un bel épisode dans ce gros roman de l'été (62-2014) qui nous sert de mythologie politique depuis toujours.

Et au-delà, on va revenir fatalement à ce qui a été déjà dit : le système des « conseillers » dans le périmètre du pouvoir algérien est source d'abus et de dépenses. C'est le peu de respect que l'on a pour les institutions et les lois qui a permis l'émergence du phénomène « M'gueddem » et son présumé pouvoir. Les modes d'ascension « politique » en Algérie ressemblent à ceux du Makhzen voisin ou à la caricature du parvenu revanchard. La communication n'est pas encore une priorité du régime qui ne se sent pas obligé d'expliquer ou d'informer le peuple électeur intermittent. Et l'abus d'obéissance et la corruptibilité sont les deux raisons de ce phénomène.

En dernier ? Le vaste océan de l'interprétation : le régime semble se « centraliser » de plus en plus. Toufik n'est pas isolé, M'gueddem n'est pas parti et les autres colonels ne sont pas « morts ». Il se trouve seulement que toutes ces fonctions ont été centralisées en une seule. Et sous la main d'une seule personne. C'est tout. C'est le sujet du jour. Ténu et maigre : c'est le milieu du Ramadhan, du jour, de l'époque. Rien d'autres à faire que de regarder la comète M'gueddem et de s'essayer aux astrologies latérales.