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Genève : Des circuits Mobutu pour écoliers des dictatures
par Kamel Daoud
Genève, capitale. On s'y promène avec le même son insistant
dans la tête : son propre pays en écho. L'Algérien en voyage est un
occidentaliste. Une sorte d'orientalisme inversé. Il a toujours en tête sa
nation dont il compare les échecs aux réussites des autres, les arbres hauts
aux buissons, la dune à la colline. Le plus curieux dans ce pays, cependant,
c'est son sport national : le référendum. La consultation électorale directe
sur la couleur des shorts d'été ou la construction de mosquées ou le jour de
vacance hebdomadaire pour les écoles. Tout est voté. Et d'un coup, l'autre idée
: pourquoi nos dictateurs qui n'aiment pas la démocratie chez eux,
l'interdisent et la combattent, aiment tous Genève, ses restaurants de hauts
fonctionnaires internationaux, ses retraités de prestiges et ses villas
vieilles et augustes ? A cause peut-être du prêt à porter : la Suisse c'est
déjà prêt et donc on s'y installe après avoir puisé dans les ressources de son
pays d'origine. Les dictateurs et leurs lobbys, hommes proches, familles ou
autres aiment Genève mais n'aiment pas fabriquer des Genève chez eux. Bien sûr,
la ville abrite aussi des gens bien, des opposants qui ne font plus confiance
aux serruriers de leurs pays d'origine, des cadres, des hommes brillants et
d'autres. Mais la capitale reste celle de l'argent volé au tiers-monde,
l'argent des mandats à vie et des « Pères des peuples » imposés. Genève est le
fantasme des dirigeants mal élus et leur lieu de repli ou porte de sortie. Il y
faudra, un jour, la cartographie des « châteaux » volés. L'idée est même plus
qu'amusante : se balader, en groupe et voyages organisés, dans les vieux
quartiers, sur les hauteurs, à la recherche du « Château volé ». Le circuit
Mobutu. Chercher les 900 millions d'euros camouflés. Offrir un jeu de cartes et
d'indices aux enfants du tiers-monde, venu en bus apprendre comment on devient
dictateur, comment on vole l'argent, le cache et comment on achète un palais contre
un pays. Cela sera mieux que d'inviter nos écoliers dans les parlements mal
élus et qui ne pèsent pas le gramme au bout de l'index du Dictateur.
Passons. Le ciel y est gris, les magasins ferment tôt mais
la ville vote bien et beaucoup. D'où l'autre question qui rebondit comme une
balle dans la tête : peut-on voter tout chez nous ? Longue pédagogie des
siècles que nous avons perdus ou qui manquent à notre éveil. Le référendum «
populaire » chez nous est une réussite pour le décès, le rite, la noce ou la
lapidation des libertés et la construction de la mosquée. C'est l'une des
vieilles questions, pas tranchées, du 20eme siècle chez les dits « arabes » :
si on « leur donne la liberté de voter, ils voteront contre la liberté qu'ils
viennent d'avoir », disent les néo-pieds-noirs avec l'argument de l'effet
barrage contre la barbarie foncière de leur compatriotes. Mais « si on ne donne
pas la liberté de voter à un peuple, on lui enlève les autres libertés d'un
coup et cela s'appelle dictature » et il deviendra encore plus sauvage. Que
faire ? dit le sceptique. Peut-être lancer un deal aux régimes : frauder pour
les présidentielles, les parlements et laissez-nous le droit d'élire un
commissaire, un juge, un directeur d'école par exemple. Possible ? Mais non. Juste
que sous le ciel de Genève, entre le salon du livre et les passants trop polis,
le chroniqueur n'a pas eu l'idée du jour. D'ailleurs, il n'en n'a presque plus depuis
une certaine date : depuis le 17 avril.
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