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Benflis/Bouteflika : une affaire personnelle

par Kamel Daoud

Si Bouteflika gagne les élections, cela va confirmer les convictions des générations qui ont grandi sous son règne : il ne sert à rien de travailler, s'épuiser ou suer. Si un homme peut être réélu sans faire campagne, en se levant seulement deux fois de sa chaise (devant Kerry et devant l'Espagnol) et sans ouvrir la bouche et sans quitter sa maison, pourquoi moi je dois travailler ? Le pétrole coule, l'argent aussi, et avec eux le pays. Même si le jeu de mot est plat, il est vrai. Car le bonhomme a expliqué qu'il mène une vie de jeune algérien nourri, logé et « férié » : il attend le match Barça/Atletico, zappe, bouge un peu et se gratte le dos et attend que l'on annonce les résultats du bac par fax. Ou des élections. Comme un jeune de la génération ANSEJ, l'actuel président ne travaille pas, reçoit des gens pour parler (dans un palais, pas au seuil de l'immeuble), fait des plaisanteries et, quand il se sent menacé, accuse le voisin, Benflis ou les autres. C'est un pays merveilleux. Une table descendue du ciel. La réplique du Candidat sur le match espagnol est un moment unique de révélation sur ce qu'il fait, pense, pendant que nous nous dépensons à s'opposer à son règne. Désormais, pour bien vivre en Algérie, restez chez vous et envoyez sept représentants : l'un pour le pain, l'autre pour le lait, le dernier pour payer vos factures?etc. Déléguez et faites-vous filmer par votre Frère.

Et le reste ? Les deux sorties de Bouteflika contre Benflis, prouvent encore une fois la validité de la théorie « psychologique ». Selon les tenants de cette école, le conflit froid avec le Maroc, la question du Sahara et beaucoup d'autres choses s'expliquent en Algérie par la psychologie, plus que par la stratégie et le politique. Il s'agit souvent d'une généalogie d'affects, de rancunes vieilles, de questions d'allergies personnelles, plus que de géostratégies complexes. Dans ce cadre, la décision de « Lui » de finir la vie avec un mandat à vie est surtout due à la décision de Benflis de se représenter. Il a osé ? Je vais oser plus. Peu à peu, malgré le prétexte du pluralisme, l'existence non prouvée des autres candidats et les affichages sauvages, on comprend peu à peu qu'il s'agit d'une affaire personnelle, « familiale », subjective. Bouteflika a un ego immense bien connu et l'insolence de son ancien homme de confiance lui est insupportable. Aujourd'hui, comme un vieux couple divorcé, les deux se déchirent et on connaît le vice insupportable de ceux qui divorcent : ils s'étalent devant tout le monde, racontent leurs misères et leurs rancunes surtout aux étrangers, voisins, inconnus, ministre des AE espagnol ou simple passants diplomates.

«Lui» ne supporte pas que Benflis ait osé se penser Président alors que «lui» est encore Roi dans sa monarchie mentale, c'est déjà un coup d'Etat.