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Analyse du «Titanic», version célibataire

par Kamel Daoud

Il y a l'énigme et il y a ses explications. L'énigme c'est quand un homme vieux, malade, assis et murmurant veut un pays à lui tout seul à son âge.

L'explication ? Rare et multiple, selon les opinions et les convictions intimes.

D'abord l'explication par l'immunité : le bonhomme veut être le Roi pour protéger les siens, sa famille, ses hommes et ses épargnes. Le traumatisme de 78. Il s'en souvient et ne veut pas le revivre.

Puis l'explication par le prête-nom : il ne sait pas ce qu'il fait ni ce qu'il est. Il sert de registre de commerce à un lobby ténébreux, une guilde composée d'un homme d'affaires kabyle, un frère, deux soutiens et un Général.

Puis l'explication, savoureuse de « je garde le pouvoir deux ans encore pour parachever mes réformes et je pars ». Elle a fait rire. Sourire depuis une semaine. Avant de se résorber.

Puis l'explication par « il a longuement réfléchi puis, par élan martyr et sacrifice suprême, il a décidé de rester parce que l'Algérie, ses femmes, ses ventres, ses utérus n'ont pas pu accoucher de quelqu'un de meilleur que lui. Il garde le pouvoir par obligation morale et par sens du devoir ». Sourire plus large.

Ensuite l'explication par le lièvre : il veut une quatrième pour servir de lièvre à Benflis. Oiseuse explication qui est plus proche de la théorie du complot que de la vérité. Le lièvre est dans ce cas énorme, plus gros que le coureur et a une ambition carnivore. Cela ne tient pas. Ne colle pas à la psychologie du bonhomme qui préfèrerait être un ver sous terre qu'un lièvre pour Benflis.

Puis l'explication par effet de scène : l'homme n'existe plus. C'est une sorte d'hologramme fabriqué par l'état-major de l'armée pour faire passer la prolongation sous forme de stabilité. Possible ? A peine. Cela ne tient pas compte du fantasme double du bonhomme : être Hassan III et être Bonaparte.

Puis l'explication par soutiens étrangers : l'homme est l'interface entre le pétrole algérien et le consommateur français et américain. Possible mais très simpliste. Cela explique le sens d'écoulement du pétrole mais pas celui de notre histoire.

Puis, il y a l'explication par la vengeance. L'homme est revenu pour détruire le pays qui l'a détruit. Traîner le FLN dans la boue. La presse et la Cour des comptes, ces trois anciens qui l'ont humilié. Il est revenu pour démontrer qu'il est meilleur que cette nation et que si les gens sont contents de leur médiocrité, il va le leur prouver. C'est une théorie fascinante : un pays entier pour servir à une vengeance personnelle. Du jamais vu dans l'histoire de l'humanité.

Puis, il y la théorie de la génération qui ne veut pas mourir : Bouteflika serait l'incarnation dernière de cette golden génération de la libération et qui éprouve de la difficulté à céder la place, car elle se pense gardienne de l'unique pays qu'on a eu depuis un millénaire. Glorieuse théorie mais trop pompeuse pour ces gens là.

Et il y a la théorie du « je mourrai comme Boumediene en régnant comme Hasan II ». Possible. C'est la théorie des cafés qui parle du fantasme de l'enterrement national. Qu'on le laisse régner encore deux ou trois ans et il finira par partir », disent certains de ses proches exaspérés par l'opposition. Oui, confondons allègrement une nation et une épouse de jouissance, un pays et un jouet, une terre et un caprice. Pourquoi pas ?

Et, en dernier, la théorie du tout : il est là, parce qu'il a compris le côté cupide, veule et monnayable de ce peuple, autrefois héros, aujourd'hui client. Le plan de Constantine est le plan de Tlemcen. Il fallait juste changer de noms, sans changer de but. A l'époque, De Gaulle voulait affaiblir le FLN, acheter les Algériens. C'est fait, des décennies après. De Gaulle parlait beaucoup mais n'avait pas de pétrole. Le notre parle peu et a des puits.