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Tamarrod à l'usage des fatalistes que nous sommes devenus

par Kamel Daoud

Il y a quelque chose d'admirable dans le mouvement Tamarrod/Rébellion qui essaye de sauver l'Egypte de sa confrérisation forcée par les «Frères» (entre eux) musulmans. Collecte de signature, bataille au corps à corps, muscle et cri, mobilisation et slogan. Le mouvement reste jeune et vigoureux et on pourra soliloquer sur sa prise en charge supposée par l'Occident, sur ses obédiences ou sur ses courants, cela n'enlève rien à ce mouvement de fond. Et c'est un spectacle fascinant pour nous laïcs, progressistes ou modernistes ou démocrates ou écolos ou lunatiques ou démissionnaires: voici l'exemple qu'il y a une vie après le Califat et que les islamistes ne gagnent pas toujours et que l'on peut mobiliser les ruralités et les marges mieux qu'eux et que l'on peut changer les choses et pas les laisser advenir comme un destin inévitable.

On peut aussi soliloquer, presque avec une étrange jouissance masochiste, sur la faiblesse des progressistes dans le monde dit arabe, sur la puissance de contact et de séduction des islamistes et sur l'urbanité et l'élitisme des mouvements anti-islamistes qui les empêcheraient de vivre dans le pays réel et les couperaient des «masses» (ô détestable synonyme des peuples en vrac). Cela nous est arrivé à nous, piégés entre les islamistes et les militaires, la guerre des années 90 a obligé à des choix sales et impardonnables et cela a tué les convictions, le courage, le désir de changer le monde et la confiance en soi. Et dès que les islamistes ont pris le pouvoir en Egypte et en Tunisie, on a soupiré avec la profonde consternation qui est la nôtre et on a conclu à la fatalité.

Et soudain, En Egypte et en Tunisie, pour ceux qui y voyagent et regardent, on a vu naître l'inattendu: des mouvements jeunes lucides, puissants, organisés et meneurs d'initiatives qui résistent et se battent. Avec la bouche, le bras, le gourdin et le mot: ceux qui veulent m'enlever ma liberté par la force, je la défendrai et je la leur enlèverai avec la force. Celui qui attaque mon corps subira le mien. Celui qui touche à ma croyance, je toucherai à la sienne. Les islamistes sont mortels, vont aux toilettes, mentent et ne maîtrisent pas plus que les ablutions et les névroses face à la femme. Le bonheur est qu'ils sont en train de perdre par leurs «victoires». Et Tamarrod offre le mythe et l'espoir d'une possibilité de résurrection de l'initiative. Les islamistes ont longtemps «gagné» par deux arguments: l'usage de la proximité avec les marges et les exclus et l'usage de la culpabilisation des élites concurrentes; vous êtes contre nous ? Donc vous êtes contre Allah. Et cela s'est profondément implanté dans les pensées: un homme a le droit de porter un kamis ridicule au nom de sa croyance mais un autre n'a pas le droit de s'habiller comme il veut au nom de sa croyance. Une femme sans voile est indécente et un hirsute avec barbe sale ne l'est pas. Un coiffeur de Aïn Témouchent peut devenir émir et savant en fatwa et un intellectuel n'a pas le droit de parler de religion, de discourir sur le Coran ou de penser le sacré. Quand on est anti-islamiste, on se sent coupable de ne pas être musulman et c'est la plus grosse arnaque de ce courant.

Tamarrod mérite donc sa gloire. Il essaye de faire barrage. Ni par l'exil ni par la démission. Ni valise ni cercueil dans la tête. Ils frappent ? Je frappe. C'est la règle.