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Ouyahia a compris

par Kamel Daoud

Une campagne électorale algérienne se fait toujours sur deux registres, à deux niveaux : l'un s'adresse au peuple, l'autre à l'électeur. Explication : on l'a vu pour le 10 mai dernier lorsque l'enjeu était d'élire une assemblée anti-Otan, arme de défense massive : là où les candidats mortels promettaient logements, usines, routes, argent et emplois; les grands employés du régime, chefs de parti du parti unique, parlaient de menace, d'invasion, d'union sacrée et de complot sioniste.

Pour cette campagne, pour élire des maires sans puissance, il s'agit de même : les candidats parlent de ce qu'ils peuvent faire, pendant que les Ouyahia & Cie parlent de ce qu'il ne faut justement pas faire et jamais : changer de régime. Le plus perspicace dans ce jeu de manipulation des esprits lourds de l'Algérie rurale est Ouyahia, pas Belkhadem, bien que ce dernier ait été formé dans une kasma populiste et joue sur la religion. Ouyahia a été l'auteur du plus merveilleux slogan électoral ces dernières années : «Votez contre le changement», avait-il appelé mai dernier. Une pure merveille de psychologie des foules : changement égale chaos. Donc nous, régime égale ordre.

Cette fois, le bonhomme confirme son excellence dans un meeting à Bouira : «Israël commet des crimes sans que les avocats de la démocratie bougent un pouce». Le raccourci est génial : il veut dire que les démocrates, ceux qui plaident pour la démocratie en Algérie ou ailleurs, sont des complices d'Israël, alias le complot juif international dans les esprits locaux très simples. Cela veut dire que la démocratie est une «juiverie». Le surréalisme de la phrase étant masqué par sa dose d'absurdité mais cela n'empêche pas Ouyahia d'en user : celui qui doit bouger pour la Palestine (fourre-tout des causes locales dans le monde dit arabe) est le régime et son armée et ses diplomaties, mais ce sont les démocrates qui sont accusés d'immobilisme et donc de complicité de crime, et c'est la démocratie qui est un complot juif.

Le régime profite en effet de chaque rendez-vous électoral et de chaque campagne pour faire campagne pour lui, sa nécessité, son utilité et sa grandeur. A chaque levée de foules, il s'agit de jouer sur les grands affects nationaux : Israël, la France, la menace externe, le complot, le chaos et la fourberie de la notion démocratie. Il s'agit, à chaque fois, de faire peur à cet étrange être d'instincts et de cris qu'est la foule, de lui répéter que le reste du monde veut lui voler quelque chose qu'elle ne possède pas à vrai dire (le pays), qu'elle aura faim et souffrira sans le berger et qu'elle est la meilleure au monde même si le reste du monde n'existe pas. Le régime connaît profondément son peuple de service et sait sur quelle corde jouer pour lui tresser des laisses.

Pour cette fois encore, il y a deux campagnes : «votez pour moi», dit le candidat, «votez pour» moi dit le Régime. Sauf que dans le second cas, ce n'est pas une élection mais une mastication. Ouyahia est le digne héritier du fameux «je vous ai compris», car lui, il semble vraiment avoir compris comment réfléchit ce peuple et comment le manipuler sans le toucher, juste avec le verbe.