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«Je suis malade, complètement?»

par Kamel Daoud

C'est donc la mode : chaque ministre crie au complot contre sa personne, dans son secteur. C'est Ouyahia qui a commencé : je dérange, a-t-il dit. Qui ? Des gens flous, anonymes, qui sont dans le dos. Des «intérêts», des hamrouchiens (Ouyahia a bien ciblé l'origine du mal en 1990 et on a compris qui). Grégaires et peu inventifs, les ministres suivent donc : Benbouzid vient ainsi de rendre publique sa version : l'école algérienne va bien à cause de lui, elle va mal à cause des francophones. La preuve ? Aucun Algérien n'a marché sur la Lune «mais l'école algérienne est la meilleure en Afrique et dans le monde arabe» a-t-il déclaré à un journal arabophone. Une preuve ? La meilleure : celle qui consiste à frapper le voisin, le Maroc : «Là le taux est de 50%» en termes de taux de scolarisation. C'est le but de la vie de la caste dirigeante : taper sur le Maroc et illustrer l'avancée de l'Algérie par la distance creusée entre elle et le voisin. Pourquoi pas la Corée du Sud ? Non, c'est loin, en haut, en mieux. Donc, le complot de Benbouzid c'est les francophones.

Ould Abbès et la crise des médicaments ? Là, la version du complot parle d'importateurs et de fournisseurs étrangers et de labos. Donc du monde entier. Le ministre de l'Agriculture et de la pomme de terre malade ? Ce sont les spéculateurs et les «privés» qui ont comploté. Le ministre de l'Intérieur face au droit des Algériens de manifester ? C'est un complot interne de parties qui veulent déstabiliser l'Algérie. Des cadres du ministère des Affaires religieuses parlent de logements détournés et de 4x4 volatiles ? Des chrétiens algériens se font harceler ? C'est un complot des évangélistes, des sionistes, dira le ministre concerné. Des rumeurs et des arrestations sur le dossier de l'autoroute Est - Ouest ? C'est un complot selon Ghoul. D'ailleurs le MSP est «victime» d'un complot. Le FFS. Le FLN de Belkahdem et Belkhadem lui-même. Donc, le complot est partout selon les actionnaires de ce pays et ses seigneurs féodaux. Vu de loin, avec distance et objectivité, c'est le tableau clinique d'une maladie. Une névrose collective. Tous ces gens sont soit malades, soit veulent que l'on tombe malade.

Vu de près, c'est de la facilité : c'est à croire que l'Algérie est le centre du monde, le lieu où logent les plus grands centres de recherches au monde, le temple des brevets, les Etats-Unis d'Afrique, le pays qui a marché sur la Lune. Vu encore de plus près, on est tenté par le rire. Jaune. Qui est cette partie qui confectionne des complots partout, tout le temps, dans chaque ministère et qui est l'ennemie véritable de nos héros nationaux ministres ? Ce sont nous peut-être. Car dans la théorie du complot, il ya deux parties : le paranoïaque (imaginaire ou réel) avec son objet fétiche, son budget, son ministère, son argent à lui et il y a les autres qui se meuvent dans l'ombre et qui veulent le lui voler; c'est-à-dire nous, le peuple. C'est que ces gens-là croient vraiment que nous sommes une menace, des voleurs, des comploteurs quand on leur demande d'expliquer, de dégager, de partir, de justifier ou de fournir les factures.

Donc, c'est la mode : le complot est partout. De plus en plus précis : d'abord le reste du monde selon Bouteflika. Puis la maffia et les importateurs selon Ouyahia. Puis les francophones selon Benbouzid. Cela va être de plus en plus précis. Un jour, il y aura des noms. Le mien. Le vôtre. Celui des Algériens qui ne sont pas au Pouvoir et qui doivent avouer et payer et signer. Cela s'est vu en URSS, en Corée du Nord, en Chine et en Syrie.