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Merah et le zapping des millions de Mohammed

par Kamel Daoud

Ce fut un week-end Mohammed Merah vu d'Algérie. Effet curieux, le terroriste divise l'Algérie mais unit la France. La bonne, celle qui est à droite, à gauche mais pas celle qui est en dessous et au périphérique. En Algérie, l'épopée de cet illuminé à fait dire tout à tout le monde : c'est un complot 11/9 pour un Président sortant qui n'avait plus rien à dire pour convaincre. C'est une manip du Likoud qui veut attaquer l'Iran. C'est la facture des débats français sur la viande hallal au lieu de s'occuper de la viande vivante. C'est une affaire qui ne nous concerne pas, autant que la nationalité d'origine de Zineddine Ziddane. C'est la preuve que les islamistes sont dangereux et que l'Europe se trompe en les tolérant chez nous et pas chez elle. Vendredi, après la prière, tout était cependant fini, sauf cette tradition des polémiques en France par les Français qui aiment débattre du passé quand il passe. Et chez nous ? Un sentiment de malaise : on a compris que le monde est le monde : il ne retient pas la nationalité d'un terroriste mais sa nationalité symbolique, car là, on est dans le symbolisme : la France menacée par les barbares. La civilisation inquiétée par les fantassins de la terreur. Et nous ? Le pays «d'origine». Elle est amusante et abyssale cette phrase : qui a fabriqué Mohammed Merah ? La France, pas El Qaïda, ni l'Algérie. Comme le débat sur le voile, le nikab, les banlieues et le reste, cela ne nous concerne pas. C'est leur problème, leur viande hallal ou pas, leurs quotas et leurs soucis.

Ce qui reste à dire sur cette affaire étrangère ? L'essentiel. D'abord celui de l'effet d'appel que va provoquer «la solution Merah» pour les jeunes français dits «d'origine externe». On peut multiplier les appels au calme et à «l'union de la France» contre les amalgames, on peut dénoncer l'islamophobie, les exclusions et les racismes, on peut se solidariser avec les victimes et mener bataille contre les stigmatisations, cela servira peu face à l'effet d'appel du choix de Merah : mourir en panache, en scène, sous des millions d'yeux après deux décennies d'anonymat, s'exploser dans une insulte et rendre le coup au coup de feu. C'est ce mythe de la vengeance sur l'invisibilité et l'inutilité que cultivent les recruteurs et qui séduit ces errants sans racines. Ici et là-bas chez eux. Un remake de Tora-Bora, de Ali la pointe version djihadiste, de Khaled Kelkal et du bandit de l'honneur perdu des «Arabes».

Ensuite, il y a l'effet fermeture des frontières face à tous ceux qui s'appellent «Merah» qui sont nombreux et face à tous ceux qui s'appellent Mohammed, qui sont encore plus nombreux. C'est ce que pensent de nombreux Algériens. Ensuite, il y a la dispersion : chacun rentre chez soi : les Algériens chez eux qu'ils n'ont pas quittés, les Français chez eux qu'ils ne veulent pas partager. Restent les milliers de Mohammed Merah. Eux, ils sont nulle part, dans une salle de bains arme au poing, au Pakistan ou debout au bas de l'immeuble. Vivants, personne ne sait quoi en faire, pas eux-mêmes d'eux-mêmes. Morts, tout le monde veut les utiliser : la droite, la gauche, le milieu, le ciel, les élections, le Likoud, la peur, les guichets et même El Qaïda du Maghreb qui en réclame depuis hier la paternité.