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Iman pour mettre fin à mille discours

par Kamel Daoud

L'homme qui au cœur de la nuit à Tunis hurle en délire « Benali a fui ». La jeune Egyptienne qui s'exclame après la chute de Moubarak, « Plus de peur maintenant, plus d'injustice ». La jeune Libyenne qui a fait irruption dans l'hôtel des journalistes à Tripoli pour dénoncer le viol collectif sur sa personne par les katibates du Rat uniquement parce qu'elle est native de Benghazi. Les révolutions dans le monde arabe ont leurs icônes, leurs images et leurs martyrs vivants. Sauf que le cas de la jeune Iman El Obeidi à Tripoli a l'avantage de remettre le cas libyen sur l'échelle du drame humain. Trop d'analyses, trop d'éditos, trop d'experts et trop de réflexions sur le cas Kadhafi ont fait oublier la tragédie libyenne sous la grille des lectures « pour ou contre » l'intervention de la coalition pour arrêter le massacre. Le pétrole fait oublier à l'Occident peut-être sa morale, il nous fait oublier à nous l'inhumanité de la guerre d'un dictateur contre son peuple. Car les Libyens sont seuls et ils sont les seuls à décider et à juger si l'intervention de la coalition internationale est une malédiction nécessaire ou un secours urgent. Ce n'est le droit de personne d'autre. Car personne n'a vu sa sœur se faire violer, sa mère se faire tuer ou les êtres qu'il aime se faire bombarder. Il est trop facile de faire la grimace au spectacle des Libyens acclamant la France comme un sauveur et de parloter sur la néo-colonisation quand on est assis chez soi avec ses propres fortunes et parents à portée de main. Trop facile de parler quand on ne souffre pas et que sa propre vie n'est pas en danger. Encore une fois, il faut rappeler que l'Occident est dans sa logique et que c'est nous qui sommes dans la facilité et le bavardage. Quand on reçoit les bombes de son dictateur sur la tête et sur la tête de ses enfants parce qu'on a juste demandé un peu plus de liberté, il est explicable qu'on demande l'aide, même celle de Tel-Aviv. Le cas de Imène El Obdeidi, qui a tenté avant-hier de témoigner devant les journalistes du monde enfermés dans un hôtel de Tripoli par le Guide Rat, est exemplaire : elle sera traitée comme tout un peuple : masquée, cachée puis embarquée. Par la suite, l'un des sbires du régime viendra expliquer aux médias qu'il s'agissait d'une malade mentale, d'une droguée en état d'ivresse. « Vous n'avez pas senti l'odeur de l'alcool ? », osera dire le petit Rat.

 Le même traitement et les mêmes insultes que le Rat de Tripoli a réservés à son peuple lorsque ce dernier l'a vomi sous les caméras du monde entier. Iman est donc la Libye. Les révolutionnaires ont annoncé vouloir la libérer dans les prochains jours. Et pour mieux, désormais, parler de la Libye, discourir sur ce cas et analyser ce qui s'y passe, que chacun s'exerce par le coeur et le sentiment à concevoir que Iman est sa sœur, sa fille, sa mère ou sa femme ou la femme qu'il attend pour mieux vivre. Là, on parlera mieux, avec plus de justesse et moins d'emphase et on verra s'il est facile à chacun de parloter sur l'intervention étrangère, le pétrole, l'Occident, la démocratie, le dialogue et les croisades. Il faut s'imaginer cette jeune femme dans chaque pays arabe. Un pays arabe par jour. En Syrie par exemple pour commencer : là où un nouveau boucher vient de s'affirmer et où on parle encore et encore, et sans reculer devant le cliché de « main étrangère », de complot, d'agenda internationaux et de chaos pour expliquer le début d'une révolution.