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PERDANTS PRINCIPAUX, GAGNANTS COLLATERAUX

par M. Saadoune

Des opérateurs le disent, les citoyens le constatent. Le commerce informel «visible», c’est-à-dire celui des revendeurs et des occupants des trottoirs, vaque paisiblement à ses activités. Celui, moins visible, des gros distributeurs, aussi. C’est l’effet «collatéral» et néanmoins «principal» des émeutes de janvier dernier et du souci, soudain, de l’Etat de multiplier les mesures d’apaisement.

Après les émeutes, les Algériens ont entendu l’étonnant message adressé aux grossistes par des officiels : travaillez en paix et sans facture. C’est ce qui reste en définitive de l’émeute. Il y a des citoyens qui souffrent de ses effets avec la destruction de certaines infrastructures (les postes par exemple), mais il y a des «gagnants» : ils sont dans le monde très inégalitaire de l’informel. Les jeunes revendeurs de n’importe quoi et les gros revendeurs de l’essentiel.

L’Etat a généreusement renoncé à les traquer au nom du souci d’apaiser et d’éviter une «politisation» de ceux qui disposent d’une capacité de nuisance. Mais ce qui ne se veut pas «politique» - mais «social» - est très clairement perçu par ceux qui sont dans les activités du commerce et de la distribution.

Qui n’avance pas recule. L’adage se vérifie plus que jamais dans le commerce. Quand l’Etat recule dans la mise en application de la loi – et cela ne concerne pas les revendeurs «visibles» -, l’informel avance. Le représentant de l’Union des commerçants en donne une indication chiffrée qui rend songeur : aux 70.000 revendeurs informels qui ont «pignon sur trottoir», se sont ajoutés 20.000 commerçants qui ont décidé de geler leurs registres de commerce pour se mettre à vendre… devant leurs locaux.

La ligne, invisible et quelque peu cocasse, qui vous rend passible du contrôle public est là. C’est en quelque sorte la loi du marché appliquée à l’activité du commerce. La démarche économique «rationnelle» commande donc de quitter le formel pour l’informel. Tant que l’Etat continuera de reculer pour éviter d’avoir à parler de «politique», de représentation réelle des intérêts, il y aura toujours ceux qui profiteront et tireront bénéfice de cette politique. Il en est de l’informel comme des revendications salariales. Les acteurs saisissent dans l’attitude du pouvoir qu’il existe une opportunité à ne pas rater.

Bien entendu, il ne s’agit pas ici de contester la légitimité des revendications salariales en question, ni de reprocher à l’Etat d’être devenu soudain plus réceptif. Il faut juste constater que «l’apolitisme» n’existe pas. La démarche du pouvoir est de s’appuyer sur la rente pour redistribuer ou renoncer à des recettes fiscales. L’état des finances du pays le permet jusqu’à un certain point… qui semble avoir été atteint.

On est passé en effet d’un discours décrétant que les Algériens ne sont pas demandeurs de changement politique à des annonces, vagues il est vrai, que cette demande de changement politique est prise en charge. Il faut bien constater que la «tolérance» nouvelle dont fait preuve le gouvernement à l’égard d’une économie informelle, dont le danger est réel, pose des questions politiques fondamentales.

Les Algériens ont besoin d’un Etat qui puise sa force de la représentativité réelle de ses institutions et qui peut, de ce fait, sans reculer, appliquer la loi. Toute la loi. Et cela permet de mener des politiques vertueuses qui ne sont pas inspirées par le seul souci d’éviter des réformes politiques, que tout un chacun sait inéluctables.