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Retour des immigrés : «empruntez les chaloupes, c'est mieux»

par El-Houari Dilmi

L'Algérie a un dos : les harraga et autres exilés intérieurs en connaissent la surface plane et indifférente à la disparition des baleines. Elle a aussi une face : les immigrés algériens de retour et autres touristes vagues en connaissent le visage à gros sourcils non négociables, sauf avec des euros et des épaules. D'où les questions : pourquoi l'Algérie accueille si mal ses expatriés contrairement à ce que font des pays voisins ? Qu'est-ce qu'on leur reproche ? De quoi sont-ils coupables ? Pourquoi les malmène-t-on comme un excédent de population ? Et comme pour toutes questions de fond, les réponses sont multiples. On peut remonter à une sorte de psychologie de vengeance à l'encontre de « gens comme nous qui sont partis lorsque nous, nous sommes restés avec Boumediene pour planter des arbres et peupler le non-alignement ». On peut remonter à encore plus loin, au syndrome des harkis, contaminant par une sorte de glissement de proximités tout Algérien parti vivre ailleurs, lorsqu'il s'agissait de mourir lentement ici. L'inverse étant vrai aussi : on reproche aux immigrés de vivre bien et de revenir chez nous pour vivre encore mieux avec le taux de change que l'on sait. C'est du n'importe quoi, mais cela se voit dans les ports et aéroports algériens. Là, malgré un Etat officiellement accueillant comme les gens du Sud, aucune opération genre «Marhaba en Algérie» n'a pu dépasser le cadre de la distribution très brève de dattes filmée par l'ENTV. Le reste n'a rien changé : la fouille exagérée des bagages, les attentes géologiques, la sueur, les retards, les cartes d'accès Taiwan, les prix incroyables, l'irrespect massif et le harcèlement pour de la monnaie et du savon. Le retour vers l'enfer est un enfer selon un slogan irrespectueux. De retour aux pays, les immigrés se comportent et redeviennent des Algériens reprochant à l'Algérie de ne pas les accueillir comme des Hollandais. Au retour, des Algériens en service les accueillent comme chaque Algérien est accueilli à sa naissance : avec plaisir par les siens, avec des coups de pieds par le reste de l'humanité des administrateurs. A cela s'ajoute la culture du butin, la mentalité post-décennie 90 de la tchipa systématique et le droit de passage qu'impose tout Algérien à tout transitaire par l'espace de son pouvoir. De manière générale, les immigrés « doivent payer » quelque chose qu'ils n'ont pas commis : le fait que celui qui les vérifie n'ait pas réussi ici et n'a pas pu partir ailleurs.

L'Indépendance ayant « réussi pour eux pas pour nous». D'où, ce visage de l'Algérie qui ressemble plus à une mâchoire qu'au seuil d'une maison de fraîcheur et d'ombre. Dans l'air, il y a la même violence qu'éprouvent les Algériens les uns envers les autres lorsqu'ils sont confinés dans l'espace réduit de leur nation. D'où la conclusion : on ne s'aime pas et lorsqu'on ne s'aime pas, on ne peut s'accueillir. Selon les journaux, des machines de lecture des faciès ont été installées dans des entreprises japonaises pour mesurer la qualité du sourire des employés. On devrait en importer ? Peut-être. Mais, pour le moment, la méthode est nationale : pour quitter ce pays sans problèmes, il faut connaître un passeur. Pour y revenir sans souci, il faut connaître un Pafiste ou un douanier. L'autre solution est d'encourager les immigrés à revenir par chaloupes, comme des harraga, en sens inverse. Ils auront moins de soucis.