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Admirez ces Iraniens qui marchent !

par Kamel Daoud

L'arnaque du pseudo-prestige diplomatique de l'Algérie a eu sa conséquence sur nos consciences : le reste des actualités du monde est pour nous un spectacle satellitaire, pas une inspiration d'actes. En témoin de ce qui se passe aujourd'hui en Iran, ce pays lointain qui anime nos voyeurismes post «Algérie Mecque des révolutionnaires».

 Car si on met de côté l'intérêt polluant des Occidentaux aux aguets d'une contre-révolution en Iran, les jeux de sérail dans ce pays réduit à un mausolée religieux et à une police des moeurs, les jeux d'équilibres régionaux, les rapports de force et les mythes pleutres d'une confrontation Arabes-Perses, l'Iran offre aujourd'hui aux Algériens et au reste du monde un spectacle qui vaut la peine de son honneur : une contestation de rue qu'on peut lire et relire comme on veut, selon ses propres lunettes idéologiques ou d'analyse, mais qui reste la preuve d'un peuple vivant, dont la moitié a le courage de ses opinions.

Pour nous Algériens, cela nous renvoie l'image inverse de notre propre décès collectif, incapables que nous sommes, opposants, leaders ou simples piétons, de nous lever contre la matraque ou de dénoncer une fraude électorale. A côté de cette contesta «verte», nous sommes un gros peuple incolore, incapable, avec une élite estudiantine loin derrière celle de l'Iran et ses universités et une conscience politique réduite à la mastication ou à la photocopie des avis inutiles.

L'Iran est à saluer. Pas celui de Moussavi ou de ce ténébreux Ahmadinejad, partisan d'une secte du «pourrissement universel» pour accélérer l'avènement du Mahdi attendu. Pas celui des fantasmes de domination des Occidentaux. Pas celui craint par les Arabes du pipeline. Mais l'autre Iran. Celui de ce courage qui nous rend jaloux et qui dans les rues ose ce que nous, peuplade post-révolutionnaire ramollie, nous n'avons pas osé tous ces jours de vote où l'on nous a volé nos voix, bourré nos urnes, tabassé nos rares manifestants, et le jour où l'on nous a servi des statistiques non négociables avec nos désirs d'avenir.

Bien sûr que nous sommes presque excusables, mais pas totalement : nous avons trop de morts sur le dos et pas assez d'éclaireurs honnêtes et nos meilleurs enfants ont préféré renaître ailleurs que sur nos terres, et nous sommes abêtis par le pain et domestiqués par la rente.

Mais cela ne suffit pas à expliquer nos tendances herbivores. Les Iraniens sont autant isolés que nous, dépendants du pétrole comme nous, et vivotant dans des champs barbelés autant que nous, mais ils gardent encore ce don de faire du feu avec leurs jeunesses et de s'élever contre les hold-up électoraux malgré la terreur et la peur.

Qu'est-ce qui s'est passé chez nous au point de nous enlever même l'audace de marcher dans les rues pour dénoncer une fraude ? On ne sait pas. Trente-six millions de morts, trente-six millions de raisons. En attendant, admirons ces Iraniens qui marchent.