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L'équilibre social

par Abdelkrim Zerzouri

Le recensement des habitants des bidonvilles, annoncé par le ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et de la Ville, Kamel Nasri, pourra-t-il contenir le phénomène de la persistance de ces sites hideux qui ceinturent tels des haillons les grands centres urbains ? C'est une ambition légitime du plan d'action du secteur, qui vise à endiguer, «définitivement», ces habitations de la honte, sans quoi on ne peut prétendre passer à l'embellissement des villes. D'autant que l'affectation des habitants de ces sites bidonvilles permettra d'affecter les assiettes de terrain libérées aux projets de réalisation de logements décents, selon le même responsable. Le minima de ses résultats, le recensement en question, qui visera les bidonvilles de la capitale, aura l'avantage de combler un vide statistique qui a duré près de 11 ans sur ce plan (le dernier recensement du genre ayant été effectué en 2008). Donc, l'opération de recensement des habitants des bidonvilles aura, au moins, le mérite de tracer des contours plus précis quant au nombre des occupants de ces sites précaires. Car, la méconnaissance des habitants réels de ces sites a permis tous les dépassements lors des opérations de relogement. Avec un recensement qui se fait dans la précipitation des dernières minutes, souvent quelques jours avant le relogement du site ciblé, on pouvait aisément inscrire ou rayer des noms de bénéficiaires, selon les «humeurs» des responsables du moment. Le ministère veut avoir son recensement propre des habitants des sites bidonvilles, pour cerner le phénomène et identifier à l'avance la demande en logements sociaux à consacrer à ces citoyens, dans un programme distinct du logement social destiné aux demandeurs de logement de ce type.

Bien sûr, cela ne servirait pas à grand-chose si le relogement ne se fait pas dans un délai court, puisque la population des sites bidonvilles subit des changements dans le temps, avec le mariage des jeunes qui construisent sur l'espace même de nouvelles bicoques et autres nouveaux arrivants qui viendraient grossir les statistiques, et qui peuvent à la longue brouiller toutes les cartes établies dans ce cadre. Sans parler des habitants «virtuels» qui ne se manifestent qu'au moment du relogement, car possédant réellement des logis sur le site sans jamais être des occupants effectifs. Les sites bidonvilles sont bien faciles à déterminer et à situer dans l'espace géographique, mais pour l'identification des résidents de ces lieux, c'est une autre paire de manches qui obéit à des facteurs variables, d'une grande complexité quand il s'agit de suivre ou tracer leur évolution démographique. Durant plus de vingt ans, les autorités se sont vainement évertuées à éradiquer ces logis d'infortune, devenus source de petites fortunes pour des trafiquants qui ont su tirer profit illicite de cette politique, et qui ont en grande partie contribué à la rupture de confiance entre administration et administrés, et nourri la colère des résidents réels de ces sites bidonvilles, laissés en rade lors de l'évacuation de leurs voisins vers des logements décents. Car, si le recensement des habitants des bidonvilles est indispensable pour bénéficier d'un logement, il ne faut pas en faire la condition sine qua non pour un déroulement de l'opération fidèle à la réalité du terrain. Le citoyen a appris à tricher, avec la complicité des agents de l'administration, pour décrocher un logement social, pourquoi pas deux, trois et plus, dans un esprit insatiable quand il s'agit de détourner des biens du beylik. D'où le fait de dire que le recensement, à lui seul, ne résout pas cette équation complexe des résidents réels des bidonvilles, et ne peut en aucun cas contenir le phénomène de la «bidonvillisation» des villes. Il est impératif dans ce sens de mettre en œuvre d'autres moyens, dont la l'unification du Fichier national de logement, toutes formules confondues, y compris le logement rural et le promotionnel aidé, afin d'identifier les bénéficiaires, comme l'a préconisé le président Tebboune. Ainsi que la prise en charge sérieuse des doléances soumises par les non-bénéficiaires et, surtout, accorder plus d'importance à la satisfaction des demandes de logements sociaux, puisque la majorité des habitants des bidonvilles figurent sur cette dernière liste.

Durant les deux dernières décennies, mues par un challenge de dimension internationale, qui pariait sur une inscription de l'éradication des bidonvilles au niveau de la capitale et à travers tout le pays sur les tablettes de l'ONU, les autorités ont foncé à fond dans cette politique qui accorde un taux de plus de 70% des programmes de logements réalisés aux habitants des bidonvilles et moins de 30% laissés pour les demandeurs de logements sociaux. Résultat : les bidonvilles défient toujours les autorités et les demandeurs de logements sociaux sont de plus en plus nombreux, de plus en plus désespérés. Ne voyant que la solution d'ériger un taudis pour s'assurer rapidement d'un logement social. Où peut se trouver l'équilibre social, alors ?