La grâce présidentielle accordée aux prisonniers reste
différemment appréciée par les citoyens. Certains, les
proches des détenus notamment, attendent ce rendez-vous avec beaucoup
d'impatience et d'espoir, allant jusqu'à passer la nuit devant les prisons en
attente d'une libération des leurs, et chaque Algérien se mettrait à cette
place s'il avait quelqu'un à attendre à la sortie de la prison, alors que
d'autres voient cette mesure d'un mauvais œil, autant qu'une menace sur le
moral des troupes, l'appareil judiciaire et les services de sécurité, qui ont
pris des risques et fourni des efforts pour mettre en prison ceux qu'on vient
de relâcher sur un trait de signature. Ces derniers ne comprennent pas
comment et pour quelles raisons on accorde la grâce à des personnes condamnées
après avoir causé des préjudices à leurs victimes ? Et les victimes dans cette
histoire de grâce, qu'est-ce qu'on en fait, pardonnent-elles, acceptent-elles
qu'on libère ceux qui leur ont fait du mal ? Tant de questions qu'il ne faut
pas voiler et, au contraire, tenter d'y faire face pour leur apporter des
réponses qui pourraient, un tant soit peu, apaiser les cœurs et les amener au
difficile pardon. La polémique existe bel et bien au sujet de la grâce
présidentielle accordée aux prisonniers depuis toujours. Etouffée par principe
de «réserves» pour certains, par crainte de froisser la susceptibilité de celui
qui en a la prérogative constitutionnelle ou encore afin de ne pas mécontenter
les bénéficiaires de cette disposition et leurs proches, mais on ne peut guère
l'occulter, sauf si on verse dans l'imposture qui a mené le pays là où il se
trouve. Cela mérite même d'avoir sa place dans le débat autour de la
Constitution en gestation. On ne peut pas suspendre complètement cette mesure
mais il est loisible de la «limiter», du collectif à l'individuel. L'Algérie
n'a rien inventé sur ce plan, puisque la grâce, «une clémence qui adoucit la
justice», comme l'écrivait Shakespeare, existe depuis des temps reculés,
partout dans le monde, sous différentes formes. Mais, est-ce pour autant légitime
d'en faire presque un droit pour les prisonniers, qui doit absolument leur
profiter à chaque occasion de fêtes nationales ou religieuses ? Tout citoyen
souhaiterait que les prisons soient «vides», comme au Pays-Bas par exemple, où
ce pays envisage de louer ses prisons à d'autres pays, mais du fait de la seule
cause de la baisse de la criminalité. Le président Tebboune
doit certainement avoir ses raisons quand il a décrété une grâce présidentielle
en ce mois de février 2020, hors du traditionnel calendrier généralement
consacré à cette mesure, et qui a touché 3.471 prisonniers, condamnés de
manière définitive à une peine égale ou inférieure à 6 mois. Et ce n'est pas
encore terminé, car «ce premier groupe sera suivi par un deuxième qui englobera
des détenus condamnés définitivement, et dont il ne reste de leur peine que
douze (12) mois ou moins à purger», selon un communiqué de la Présidence.
Chacun y va également de son explication à ce sujet. Peut-être que le président
Tebboune compte-t-il régler, ainsi, le problème du
surpeuplement des prisons en usant de son pouvoir de grâce ? Avec le souhait de
ne plus voir ceux qui ont quitté les geôles y revenir, il serait utile de
relever que son prédécesseur a eu recours à la grâce présidentielle près ou
plus d'une quarantaine de fois durant ses quatre mandats présidentiels (au
moins deux fois par an, le 1er Novembre et le 5 Juillet, en sus des occasions
de fêtes religieuses), sans venir à bout de la surpopulation carcérale.
La solution à ce problème réside dans l'accélération des
travaux de construction de centres pénitentiaires, des projets déjà lancés et
dont l'état d'avancement est assez important, comme l'a précisé le ministre de
la Justice, garde des Sceaux, Belkacem Zeghmati, lors de la cérémonie d'installation du Directeur
général de l'Administration pénitentiaire au début du mois de décembre. Il se
peut aussi que cette grâce présidentielle, un outil politique qui chercherait
un apaisement du climat social, soit décidée hors calendrier traditionnel pour combler
le vide de contrainte observée dans ce contexte durant la période où l'ex-chef
d'Etat, Abdelkader Bensalah, n'a pas, ou ne pouvait
avoir recours à cette grâce présidentielle.