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Enrichissement sans cause

par Abdelkrim Zerzouri

L'article 87 bis du code de travail est-il « increvable » ? L'abrogation de l'article 87 bis, même si l'on ne manque pas du côté des pouvoirs publics de préciser que la décision en question est irréversible, donne l'impression d'un accouchement difficile. Prenant effet au 1er janvier 2015, théoriquement parlant, l'application de cette abrogation est repoussée vers un avenir, certes, toujours proche mais qui a fini par lui enlever tout sentiment de satisfaction qui va avec l'augmentation de salaire promise. On a même cru que tout est tombé à l'eau après la chute des prix de pétrole. Mais, les officiels arrivent toujours dans des moments où le moral du travailleur atteint le creux de la vague.

Rassurants et affirmatifs, les officiels se relaient pour rappeler que l'article 87 bis a été abrogé suite à une décision du président de la République, en quelque sorte une décision de souveraineté. N'est-ce pas que le FMI l'a imposé aux négociateurs algériens en 1994, dans des moments où l'Algérie vivait des conditions économiques critiques et où la masse salariale du pays ne correspondait guère à la rentabilité et aux performances des entreprises. Si l'article en question n'a pas encore été effectivement abrogé, c'est à cause de la technicité de son application qui nécessite encore du temps, explique le patron de la centrale syndicale Ugta qui court derrière la concrétisation de cette préoccupation depuis une dizaine d'années.

A chaque fois, le gouvernement oppose son refus de mettre sur la table des négociations, lors des rencontres tripartites, l'abrogation de l'article 87 bis. Et, confirmant une réputation qui laisse croire que l'article 87 bis porte la poisse, une fois que son abrogation est acceptée par le gouvernement, c'est le cours du pétrole qui s'effondre, faisant augmenter les appréhensions des experts économistes ! On ne sait pas avec précision le nombre de travailleurs dont les salaires seront touchés par cette abrogation de l'article 87 bis. Comme on ne sait pas exactement quel sera le coût global de cette abrogation. Mais on parle de 1,5 million d'employés de la fonction publique concernés par les augmentations de salaires induites automatiquement par une suppression de l'article 87 bis, sans compter ceux des secteurs économiques publics et privés.

Quant à son impact financier, on parlait il y a quelques années, déjà, de 7 milliards de dollars. Mais rien n'est sûr. On peut jouer sur les chiffres et tomber dans une case juste, équilibrée. D'ailleurs, hormis quelques études d'experts, on ne s'est jamais avancé à donner un quelconque taux dans les hausses des salaires à la suite de l'abrogation de l'article 87 bis. On a bien entretenu le flou, tellement bien qu'on ne se retrouve plus dans le labyrinthe des suppositions. Selon certains avis, la hausse dont on parle depuis des mois est tout simplement dérisoire, tout juste quelque 700 dinars, ou 1000 dinars. Quoi de plus, ce ne sont que les bas salaires qui seront concernés par cette hausse.

Les travailleurs sont en colère rien qu'en apprenant que la hausse tant attendue n'est pas aussi importante. Introduit à titre provisoire dans le cadre d'un plan de rééchelonnement de dettes élaboré par le Fonds monétaire international, l'article 87 bis était la solution jugée la moins mauvaise pour faire admettre aux travailleurs et avec une manière déguisée une baisse de salaires. Dans ce sens, c'est acceptable sur le plan économique. Mais, dans le cas contraire, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit de hausse des salaires, il faut impérativement faire suivre avec la productivité du travail afin d'éviter l'inflation. Toute hausse de salaire doit avoir en contrepartie une amélioration de la productivité, sinon cela aurait l'air d'un « enrichissement sans cause ». Cette même considération à l'origine de l'introduction de l'article 87 bis. Faire du « social » avec les salaires, c'est comme si l'on fonçait tout droit dans un mur.