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La colère et le verbe

par Abdou BENABBOU

Que nous ayons coup sur coup la mauvaise humeur du ministre de la Justice qui s'est dit outré par un comportement et un état d'esprit tenaces et la dernière décision d'ouvrir un guichet unique pour ce qui relève des domaines et du cadastre est une nouvelle preuve qu'en la matière le verre a débordé. Il est vrai que par moments le gouvernement donne l'impression qu'il ne sait plus où donner de la tête et il est patent de remarquer que la machine de la gouvernance est sérieusement rouillée.

On a trop tendance à incriminer le gouvernement comme si chaque ministre disposait d'un sésame féerique pour venir à bout des innombrables excroissances qui se sont élargies depuis l'indépendance du pays. Il nous est aisé de donner libre cours à nos langues sifflantes comme si la gérance d'un pays ne doit répondre qu'à la profusion du verbe acerbe et à la parole facile.

La bonne marche d'un pays ne répond pas à cet a priori et il serait illusoire que de croire qu'un changement de gouvernement puisse ordonner comme il le faudrait le fonctionnement de ce qui régit la vie de la population.

Sans aucune façon le dédouaner et parce qu'il s'est engagé à assumer ses responsabilités, l'actuel gouvernement a à sa décharge l'héritage d'une situation sérieusement alambiquée où trop d'ingrédients de contrariétés sont mêlés pour ne pas leur permettre de mener à bien leur mission. Aujourd'hui, il n'est pas faux d'affirmer que chaque ministre est un chef de guerre sans armée tant il est prouvé chaque jour aux citoyens que l'ensemble du mécanisme humain subordonné est grippé.

La bureaucratie coutumière n'est pas seule en cause et on a trop tendance à lui coller toutes les tares sur le dos ou alors on se prête volontiers à lui accorder une définition restreinte bien qu'elle soit devenue un ogre fabuleux avec un autre visage que celui qu'on avait l'habitude de lui attribuer. L'agent de bureau ou le petit préposé administratif ne sont que deux petites gouttes dans l'énorme magma bloquant qui vient de laisser apparaître depuis quelque temps un récif nouveau installé par les tempêtes judiciaires. A quelque niveau qu'ils soient, la majorité des détenteurs du pouvoir de signatures se réfugient dans l'inertie pour que la charge pour laquelle ils sont rémunérés se congèle au détriment du contribuable. Dès lors, on est bien obligé d'admettre qu'un chef n'est armé que de sa colère et de son verbe.