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LA SOUVERAINETE ET LA VALEUR DU COUFFIN

par Abdou BENABBOU

La résidence d'Etat de Club des pins se désemplit et la prison d'El Harrach s'emplit. C'est à une invraisemblable symphonie de vases communicants à laquelle on assiste. On n'a pas souvenir de pareille sérénade dans l'histoire des peuples. Du moins les péripéties carcérales ont eu rarement ici et là des empaquetages aussi denses de personnalités politiques aux motifs de rapines voraces. On doit mieux comprendre aujourd'hui pourquoi le phénomène de la misère citoyenne a ouvert la voie à l'immolation par le feu et l'invitation de la haute mer au suicide à des groupes entiers de jeunes et de moins jeunes aux profils hétérogènes et hétéroclites.

L'incarcération de la ribambelle de ministres et de hauts cadres et la démultiplication des arrestations des très nombreux sous-fifres éparpillés dans ce qui tient lieu d'institutions et d'administration ont une signification beaucoup plus large que celle du petit périmètre des phénoménales orgies familiales qui scandalisent la population. L'étendue du cercle mafieux, aussi large et impensable qu'il soit, à priori seulement, ne se suffit pas d'un pointage d'index pour se limiter à l'accusation d'une perfide gouvernance et s'en tenir qu'à la forme pour délaisser le fond.

L'état des lieux renvoie immanquablement à l'incapacité certaine d'un supposé Etat n'accordant qu'une définition aléatoire à une indépendance et une souveraineté pourtant chèrement arrachées. Depuis la fin de la colonisation, le conglomérat des plus hauts dirigeants n'ayant qu'un esprit bourré de virtuelles théories sur le parcours des peuples s'est paré des habits de piètres génies. Malgré la fougue et pour certains leur bonne foi, leur manque d'expérience ne pouvait leur permettre que la philosophie improductive de la force des armes. Tous n'avaient que la latitude de se prévaloir du logiciel d'une légitimité bien trop discutable pour répondre à l'espoir et l'attente d'un peuple renaissant.

A la vérité, on ne devait pas attendre plus et mieux d'inconsistants leaders montés au maquis adolescents n'ayant qu'une idée vague et restreinte sur la signification d'un sourire ou d'une larme d'enfant et sur la valeur d'un couffin. Donner un sens à la souveraineté d'un pays n'est pas une œuvre d'opportunisme et contrairement aux croyances, la vraie guerre d'indépendance de l'Algérie a commencé un 5 juillet 1962.

La sérénade des clairons à la prison d'El Harrach n'a pas été programmée ces derniers mois, elle date depuis des décennies.