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Des chiffres et des réalités

par Moncef Wafi

Les chiffres officiels sont en Algérie ce qu'est l'âge chez la femme. L'Etat, dans sa conception matricielle, a de tout temps manipulé les statistiques, leur faisant dire tout et son contraire. Une logique de gouvernance assumée et justifiée par les impératifs de sécurité intérieure. En 2006, Ahmed Ouyahia, alors chef du gouvernement, révélait, lors d'une conférence de presse à la résidence Djenane El Mithaq, à Alger, que le massacre de Ramka et Had Chekala (Relizane), en 1998, a touché 1.000 personnes. Trois villages entiers décimés !

Officiellement, les autorités avaient annoncé le chiffre de 150 personnes tuées. «Nous avons caché la vérité parce qu'on ne dirige pas une bataille en sonnant le clairon de la défaite», expliquait-il. Cet exemple, à titre illustratif, trahit la liberté prise par le pouvoir en place à travestir la vérité des chiffres rompant définitivement le lien ombilical de confiance avec le peuple. A force de nous mentir, l'Etat n'a pas beaucoup de crédibilité à offrir en échange et les hésitations et cafouillages des ministres de Sellal ont fini par jeter les dernières pelletées à cette tombe.

Quel crédit alors donner aux chiffres de Meslem Mounia, la ministre de la Solidarité nationale, entre autres, lorsqu'elle évoque, forcée, le dossier des mères célibataires et des enfants nés sous X devant les travées de l'APN ? Sans être grand clerc, ses statistiques sont à des années-lumière de refléter la réalité du quotidien. Si elle aborde le sujet du côté de l'action sociale ou celui de la solidarité, il est plus subtil de le penser en termes de loi. Les associations féministes ont en effet mis le doigt sur le dysfonctionnement premier de ce dossier puisque le père biologique n'est tout simplement pas inquiété. Sujet tabou par excellence, à l'image du suicide ou des viols d'enfants, les mères célibataires sont cette preuve sur pied d'une société qui n'est pas aussi religieuse qu'on veut nous le faire croire.

Les familles monoparentales, hors divorce, qui doivent bénéficier de l'aide de l'Etat, se retrouvent marginalisées sur le bord de la morale sociétale. Etre mère célibataire aux yeux d'une société, en perte de repères, est un crime à expier, une marque au fer rouge sur le front de l'enfant qui devra à tout jamais vivre sans un patronyme légitime. Les enfants nés sous X ont toujours existé en Algérie et continueront à exister malgré les chiffres qui faussent la réalité, à l'abri des regards, sous la protection de la justice des moustaches.