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Trump fait peur

par Mahdi Boukhalfa

Pour un mandat présidentiel au moins, toute la vision du monde des Etats-Unis et de ses rapports avec les grands ensembles géopolitiques et économiques, avec ses alliés traditionnels dont l'Europe, va changer. A moins de cinq jours de son investiture à la tête des Etats-Unis, Donald Trump a livré sa glaçante vision du monde. Dans un entretien à deux quotidiens européens, il explique sans ménager ses «alliés» comme l'Allemagne comment il va concevoir dorénavant les relations des Etats-Unis avec le reste du monde.

Ce que tout le monde appréhendait après sa victoire aux dernières élections présidentielles américaines va en effet se réaliser: Donald Trump va plonger les Etats-Unis dans une autre dimension, dans une autre époque, celle de ne concevoir ni amis ni ennemis, mais juste des partenaires économiques, des alliés conjoncturels et potentiels. Il élimine également la politique américaine de construction de zones d'influence, née après la Seconde Guerre mondiale avec la guerre froide, et se pose des questions sur le rôle, qu'il juge obsolète, de l'Alliance atlantique. Pour Trump, et il ne s'en cache pas, les intérêts des Etats-Unis sont d'abord économiques, ensuite politiques et militaires. Pour lui, il ne s'agit plus d'avoir des alliés politiques ou des partenaires économiques, mais ce que ces alliés représentent sur le plan économique pour les Etats-Unis.

Non sans être pragmatique, mais avec son style direct, tout comme son modèle, le président russe Vladimir Poutine, il pense que la dénucléarisation et la fin de la course aux armements, notamment avec la Russie, passe par de bons accords économiques, étant bien compris que c'est l'économie et les entreprises américaines qui vont en bénéficier. Le politique et la diplomatie, cela viendra après de bons accords économiques. Le prochain président des Etats-Unis, farouche défenseur du capitalisme et du libre-échange, veut replacer son pays dans le contexte économique particulier d'entre les deux guerres mondiales, lorsque les Etats-Unis avaient vaincu la crise économique de 1929 et pris un ascendant sur le monde grâce au développement phénoménal de son industrie, son agriculture et ses banques.

C'est cet excès de nationalisme, cet «américanocentrisme», cette arrogance économique que Trump est en train de réactiver, de mettre en marche face à son allié européen et le reste du monde auquel il n'accorde qu'une infime attention. Pour le futur président américain, il est évident que l'UE telle qu'elle fonctionne actuellement ne va pas durer et prédit même qu'elle va connaître d'autres «Brexit». A l'intérieur, l'arrogance de Trump va, par contre, plonger les Etats-Unis dans une période de doute, car ce ne sera plus la politique étrangère, avec son volet militaire, qui sera la priorité de la nouvelle équipe présidentielle, mais la politique intérieure, avec tout ce que cela suppose comme dégâts dans le fragile équilibre entre les minorités, entre les couches sociales, entre les religions.

Certes, l'Amérique va prospérer sous l'ère Trump, avec un dollar en pleine santé et une industrie qui redémarre, mais les dégâts collatéraux, en particulier sur le front social, en vaudront-ils la peine ? La période qui va venir sera très dure pour les minorités et les «sans-papiers». Tout ce que l'équipe précédente avait construit, comme l'accès aux soins, à la sécurité sociale, la régularisation des immigrés, va tomber à l'eau. L'Amérique va reculer sur bien des territoires, bien des acquis sociaux durement arrachés, et va se faire peur.