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Bouraada, l'autre Algérie

par Moncef Wafi

Inconnu du grand public, le décathlonien Larbi Bouraada a littéralement crevé l'écran lors de ces Jeux olympiques de Rio. Non parce qu'il a décroché une médaille dans sa discipline, mais il s'est battu vaillamment aux côtés des hommes forts de l'athlétisme mondial, se classant à une honorable cinquième place et en battant, au passage, son propre record d'Afrique. Les Algériens ont découvert dans ce visage hâlé par le soleil du pays profond un des leurs.

L'humilité se lisait dans les yeux de Larbi, impuissant pourtant à mieux faire. Sa mésaventure du premier jour, regagnant le village olympique en bus comme n'importe quel quidam, alors que la délégation algérienne dispose de cinq voitures officielles, n'a fait que renforcer le crédit sympathie autour de l'athlète. Bouraada est devenu le temps d'un décathlon olympique le symbole de cette autre Algérie. La vraie, loin de la capitale et de ses coulisses. Il aurait voulu bénéficier de plus de moyens, de temps pour se préparer mais le natif de Souk Ahras s'appelle Larbi. L'Arabe. Il n'a pas la chance d'être apparenté avec un ponte du régime ou avoir les faveurs d'un clan au pouvoir pour prétendre à plus.

Lui, c'est l'Algérie d'en face, celle des pauvres qu'on ne veut pas voir. Celle des statistiques nationales qu'on remise dans les tiroirs après les avoir exhibées comme alibi. Bouraada c'est aussi cette volonté farouche, féroce, de se battre jusqu'au bout, de ne pas laisser tomber parce qu'en guise de récupération on plonge dans une baignoire remplie de bouteilles congelées. Bouraada, a fait honneur à toute l'Algérie et sa performance dépasse, dans l'imaginaire populaire, celle de l'enfant de son patelin, Toufik Makhloufi. Sa cinquième place équivaut à une médaille en or dans le cœur des Algériens même s'il n'a pas eu les félicitations du ministre des Sports.

Bouraada, c'est aussi ce pied de nez magistral à la face d'une Algérie officielle qui n'a finalement d'yeux que pour les champions adoubés par l'extérieur. Il est l'incarnation de ce héros moderne, intégralement made in Bladi, sentant bon la terre chaouie. Les Algériens, à défaut d'une participation honorable, ont gagné un grand champion. Plus grand que toutes les distinctions d'un ministre ou les justifications d'un officiel plus apte à défendre son employeur qu'à se ranger aux côtés des sportifs. Bouraada a aujourd'hui 28 ans et s'inscrit dans le gotha mondial du décathlon et avec lui l'Algérie a découvert son prochain porte-drapeau pour les Jeux de Tokyo. Au moins pour tous les autres Algériens.