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Russie, les leçons d'une intervention

par Moncef Wafi

«Grave erreur», «catastrophe assurée», «contre-productives», les adjectifs ne manquent pas pour commenter les frappes russes en Syrie. Après Washington et Londres, Ryad et Londres, voilà qu'Ankara se fait entendre pour demander l'arrêt de la campagne de bombardement de l'Armée rouge en territoire syrien. Pour son président, Recep Tayyip Erdogan, l'intervention militaire de Moscou est «inacceptable». Il rejoint ainsi le concert des détracteurs de Poutine qui a décidé de passer en force dans un dossier qui traîne en longueur depuis plus de trois ans.

La coalition internationale conduite par Obama, suivi par Hollande, veut la tête de Bachar El Assad dans la continuité d'un Printemps arabe. Elle veut voir son cadavre aligné aux côtés de ceux de Kadhafi et Saddam Hussein prenant même le risque de créer le monstre Daech aux fins d'une guerre d'extermination des musulmans par procuration. Le scénario était monté et les rôles partagés entre les Arabes vassaux et les alliés d'Israël jusqu'à ce que Moscou intervienne dans la région à la demande expresse du régime de Damas.

Les réactions auxquelles on assiste aujourd'hui, des condamnations presque du bout de la langue, mièvres et timides ne sont que le résultat d'un véritable bras de fer entre la Russie et les Etats-Unis d'Amérique et qui a failli déboucher sur une troisième guerre mondiale qui n'est d'ailleurs pas à exclure tant la région est devenue une poudrière avec une présence militaire sans précédent mettant les deux anciens blocs dans une confrontation directe. L'intelligence de Poutine est d'avoir surfé sur les mêmes raisons qui ont poussé la coalition internationale, forte d'une soixantaine d'armées, à bombarder la Syrie.

L'alibi préféré des capitales occidentales, la lutte contre le terrorisme, se retourne contre eux dans le dossier syrien et on ne peut délibérément pas condamner Moscou d'œuvrer à combattre Daech, désigné publiquement ennemi numéro un du monde libre. Que reste-t-il alors et par quelle ornière s'attaquer aux actions militaires russes ? La propagande américaine, mise en branle, impute des morts civils aux bombardements des avions de l'Armée rouge s'appuyant sur des rapports d'une presse en service commandé et des ONG grassement financées par les capitales du Golfe. Si dans les premiers temps l'opinion publique a suivi, l'ONU a déjà fait son mea-culpa, elle qui s'est empressée d'indiquer que les récentes déclarations de son service de presse, affirmant que les frappes de l'aviation russe contre les positions de l'EI faisaient des morts parmi les civils syriens, n'étaient fondées que sur les informations de médias et d'organisations non gouvernementales. Même Marine Le Pen, la présidente du Front national, a dénoncé cette guerre de propagande menée par les Américains pour décrédibiliser l'action de Vladimir Poutine. C'est dire.

Cette levée de boucliers contre l'entrée en guerre de la Russie vise également à défendre les groupes armés hostiles à El Assad, financés et armés par Washington, Paris, Doha et Ryad. Mais pas que, puisque la présence russe dans la région et son ciel est une menace à l'hégémonie de l'aviation israélienne qui avait fait du ciel syrien et libanais le sien. Des informations du front rapportent que, dans la nuit du 1er au 2 octobre, six chasseurs Sukhoi SU-30 SM ont intercepté et mis en fuite des chasseurs israéliens McDonnell Douglas F-15 au large des côtes syriennes. Les appareils israéliens survolant depuis des mois l'espace aérien syrien et plus particulièrement la base aéronavale de Lattaquié, tête de pont des forces russes en Syrie.

Une première passée sous silence, synonyme d'un rééquilibre des forces en présence en attendant que les Arabes du Golfe arrêtent de faire rire le monde à leur compte. En effet, l'Arabie Saoudite a demandé, pince-sans-rire, à la Russie d'arrêter ses frappes qui «ont entraîné la mort de civils», oubliant vite les crimes de guerre qu'elle a commis au Yémen, à la tête d'une coalition arabe. Quoi qu'il en soit, et même si les intentions de Moscou ne sont pas toutes avouables, cherchant à prendre pied en Méditerranée, il n'en demeure pas moins que son intervention a fini par mettre un frein au cynisme de l'Otan et à l'Etat sioniste.