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Corruptibilité et intouchabilité

par Moncef Wafi

L'actualité judiciaire nationale est toujours liée à la tenue des procès d'affaires qui ont éclaboussé des personnalités ayant occupé de hautes fonctions dans l'appareil de l'Etat et indigné les Algériens qui attendent, sans grande conviction, leurs verdicts. Pourtant, et même longtemps après avoir fermé les portes des tribunaux et balayé les salles d'audience, certaines affaires continueront d'occuper les esprits puisque le corps du délit ne peut être caché dans les pages d'un rapport. Ainsi en est-il de l'autoroute Est-Ouest dont le procès a condamné deux «principaux» protagonistes à dix années d'incarcération et qui continue à nourrir les polémiques.

La principale raison est qu'un ministre de la République qui a été nommément cité dans des affaires de corruption liées à ce projet n'a même pas été cité en tant que témoin ni inquiété quant à sa gestion du dossier. Cette affaire, qui tait encore certains de ses inavouables secrets, sera présente dans le subconscient populaire aussi longtemps que les usagers rouleront sur cette fameuse autoroute de la honte. Tant que les travaux qui défigurent ce bitume rapiécé tous les trente kilomètres à partir de Chlef jusqu'à Alger et plus au-delà, tant que les déviations font partie du décor autoroutier, l'Algérien se rappellera toujours, à son corps défendant, cette mascarade du siècle. Ni la tenue du procès ni les peines infligées encore moins l'absence des noms cités par les prévenus ne pourront occulter ce que pense le citoyen lambda de cette affaire.

Des milliards de dollars investis, d'autres détournés pour offrir un spectacle affligeant digne d'un Etat carnassier qui a érigé l'immunité de ses hommes en modèle de gouvernance. L'autoroute restera le symbole d'une prédation de haute voltige et la preuve d'une corruptibilité d'un système qui n'hésite pas à sacrifier la vérité au détriment de ses propres intérêts. Il suffit d'emprunter l'autoroute pour se rendre compte du préjudice causé à l'Etat et par ricochet au citoyen qui devra payer le prix fort au péage pour amortir une facture dopée à la corruption. Le public n'attend rien non plus de l'affaire Khalifa si ce n'est une fastidieuse lecture des minutes du procès et le déballage des prévenus et des témoins. Là aussi, il n'y a rien à attendre ni espérer voir les personnalités citées répondre aux convocations de la justice.

Le procédé est comme accepté par tacite accord par toutes les parties et on continue de perpétuer ce sentiment d'intouchabilité de certains hommes du clan, sentiment rendu d'autant plus crédible par ces procès en série auxquels assistent, en spectateurs impuissants et amusés, le reste des Algériens.