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Tragique banalisation

par Malik Chebre

Rien de réjouissant dans la maison Algérie. Au moment où les procès liés à des affaires de corruption se multiplient, le capital devises du pays fond plus vite que l'on veut bien l'admettre. Les gouvernants, semble-t-il, découvrent enfin l'ampleur de la fraude et promettent de sévir, alors qu'il suffit simplement d'appliquer la loi. Avec l'épuisement tout proche de la rente pétrolière, on nous promet des lendemains difficiles. Sur le plan politique, l'impasse totale est consacrée.

Des faits relayés quotidiennement par les médias, y compris publics. Ce qui est tout à fait normal. Ce qui l'est moins par contre, c'est qu'un drame survenu près d'un établissement scolaire à Bousfer, dans la wilaya d'Oran, et dont a été victime un lycéen, soit relaté dans la rubrique faits divers. Une famille a été endeuillée, une autre vivra l'enfer. En effet, dimanche dernier, un jeune de 17 ans est mort de manière brutale. L'auteur présumé du meurtre est un autre lycéen. Les deux adolescents ont presque le même âge et peut-être les mêmes préoccupations. Mais comment en est-on arrivé là ? Pourquoi cette violence près d'un établissement scolaire, où l'on est censé bannir ce type de comportement? Et comment notre société semble s'en accommoder sans état d'âme ?

Est-il besoin de rappeler les chiffres des actes de violence commis au sein même de ces lieux de transmission du savoir ? Si les responsables du secteur ont longtemps minimisé le phénomène, il semble bien, suite à des événements assez «spectaculaires», notamment l'incendie de lycées par des élèves, qu'ils consentent à en révéler l'ampleur. Et le discours de circonstance, devenu presque une litanie, est prêt à être servi. Le système éducatif a échoué et il faut en revoir la gouvernance. Les effets de l'école de Benbouzid ? Peut-être mais pas seulement. Car taire les évidences est un sport national.

Tout le monde, syndicalistes, enseignants, parents d'élèves, est unanime : l'école n'agit plus sur les comportements. Elle subit comme le reste de la société. Et quelle image reflète l'Algérie d'aujourd'hui, sinon celle d'un pays où la violence est devenue pratiquement le seul moyen de dialogue national. On semble même s'en vanter, d'une certaine manière, quand parlant du «printemps arabe» par exemple, on affirmait que les Algériens se révoltent quotidiennement à travers les blocages de route. Des protestations violentes entrées presque dans les mœurs.

Notre société est donc malade. Le diagnostic est facile à établir. Il suffit de se promener dans les rues de nos villes ou aller au marché. Les raisons sont nombreuses et beaucoup sont visibles. Une société traumatisée par la décennie noire qui a laissé des traces indélébiles. L'impasse politique. Les discours de la haine produits à tous les niveaux.

Après la banalisation de la corruption, on semble en faire de même avec ces actes de violence qui touchent l'école ou qui impliquent des jeunes. Sous d'autres latitudes, il y aurait eu un branle-bas de combat après un crime comme celui commis à Bousfer. Des ministres se seraient rendus sur les lieux, auraient condamné énergiquement, à défaut de mesures concrètes, puisque la question est complexe. Une présence symbolique, un message fort. Malheureusement, il n'en a rien été. Et l'effet, s'il n'est pas encore palpable, est désastreux. Un mauvais signal envoyé aux adultes de demain. Tragique banalisation.