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RAPPORTER DES FAITS OU LES INTERPRETER ?

par M. Abdou BENABBOU

Le métier d'informer a quelque chose de pesant et de voyeur. Aussi passionnante que soit la profession du journaliste, rapporter des faits a son côté désobligeant car il y a du pervers à regarder au travers de l'œil de bœuf les particularités d'une société quand elle livre ce qu'elle a de plus intime par ses faits et gestes et quand son articulation quotidienne s'inscrit dans les mouvements de l'Histoire.

Il est douleur aussi quand la conscience est présente forçant l'écriture à livrer sans cesse bataille contre sa propre vulnérabilité et sa faiblesse humaine pour ne pas s'ériger en juge des hommes et en procureur de leurs actes. La culture, les origines, les sensibilités comme les allergies sont de fortes tenailles dont il n'est pas aisé de se départir si l'exercice de livrer des nouvelles n'est pas bâti sur le socle de l'intérêt général bien qu'il soit lui-même soumis à des compréhensions contrariées et souvent contradictoires.

Aujourd'hui, dit-on, est la journée de la liberté d'expression. Celle de la presse surtout pour affirmer qu'elle doit avoir la liberté d'écrire et de dire. Cette liberté reste cependant vague, bercée par des convictions arrêtées et fixées par la guerre des intérêts et de l'argent à telle enseigne qu'on ne sait plus si le journalisme doit être le métier de rapporter des faits ou celui de les interpréter en fonction de la proximité des croyances et des préalables.

A l'ère des interdépendances, des plus conventionnelles aux plus perverses, un abîme sépare la liberté de s'exprimer et celle d'informer. S'exprimer serait la faculté d'étaler des vérités préconçues. Elles peuvent être personnelles ou celles d'un groupe. Par contre, informer est bien l'obligation de rapporter des faits incontestables pour que les personnes ou les groupes se fassent leurs propres vérités.

Le journalisme algérien est aujourd'hui au cœur d'une équation délicate à résoudre, alors qu'ailleurs ses règles, loin d'être limpides, ont la faculté de la clarté. Elles commencent par l'obligation de ne pas cracher dans l'assiette qui nourrit quitte à piétiner l'honnêteté et la morale.

A l'image de la société algérienne avec tout ce qu'elle traîne comme abcès et travers indécrottables, le métier d'informer doit trouver une ligne de conduite qui lui ferait honneur.