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La feuille de route

par Bouchan Hadj-Chikh

Puisque l'opposition - face aux orientations du pouvoir - a été incapable de concevoir un projet politique et économique en se fondant, comme la raison l'exige, sur des perspectives alternatives, le patronat l'a fait, comme il l'a révélé vendredi 17 avril 2015 au cours d'une conférence de presse. Le Forum des chefs d'entreprise a pris le temps de s'organiser, d'évaluer ses capacités, de mesurer les faiblesses de l'autorité gouvernementale pour élaborer une feuille de route qu'il va envelopper dans un «plaidoyer du FCE». Son président, M. Ali Haddad et son organisation se donnent 20 jours pour préciser les potions nécessaires que le gouvernement doit avaler. Elles tiennent en un mot : infitah. Sur cinq ans. C'est du lourd et du sérieux. Ça change la donne.

On pensait que le gouvernement orientait les acteurs économiques, comme cela se pratique ailleurs, afin que soit traduite la volonté des électeurs, et nous nous trouvons en présence d'un patronat qui prétend inspirer les grandes orientations politiques et économiques et en proposer la gestion. Exprimant ainsi, à visage découvert, ce que le néocapitalisme recommande. La prise en main du pouvoir. Les rôles sont inversés.

Ainsi, au nom du conseil exécutif, élargi aux membres du Forum, M. Ali Haddad demande l'ouverture de tous les secteurs d'activité au privé, incluant les hydrocarbures, en amont, comme il le précise, drapé dans le manteau de la défense des intérêts nationaux en cette période difficile pour nos principaux produits à l'exportation : le pétrole et le gaz.

Ce qui est frappant dans l'exposé des motifs, et des actes proposés par le patronat, est sa démarche. Et l'environnement dans lequel les propositions sont avancées. Le catalogue ainsi que la logique qui les sous-tendent révèlent l'absence dramatique d'un autre pôle de réflexion et de décision. En clair, tout cela est révélateur du vide idéologique et politique. Le FCE ne se contente pas seulement de sérier les secteurs - en fait tous, incluant le transport aérien et maritime, les hydrocarbures, etc. A ce stade de la communication - et de préparation du gouvernement et de la population à recevoir la volée d'exigences -, il pointe du doigt les réformes exigibles à l'exercice de leur «commerce». Un vrai programme.

En cinq ans donc, M. Haddad - comme, ailleurs, d'autres patrons de patrons - promet une croissance annuelle de 8 pour cent et deux millions d'emplois nouveaux. En 2020, grâce à ce taux de croissance qui fait penser à la Chine, nous serons hors d'atteinte du marasme économique.

Ce programme «take it or leave it» («prends-le ou laisse-le tomber») n'est évidemment pas négociable. En fait, cette conférence de presse n'était pas organisée pour informer les journalistes. On ne peut même pas penser que les autorités n'en aient pas été informées de sa teneur. Dès lors son destinataire final ne peut être que le commun des mortels pour le préparer à subir les chocs. Notamment en le dépouillant de 23 milliards de dollars. Car, affirme M. Haddad, il faut transférer «la formidable masse monétaire en circulation sur le marché» qui ne sert pas des activités productives. Comprendre : c'est nous rendre service que les ingérer.

En définitive, il est clair, comme cela a été dit dans ces mêmes colonnes, que le patronat se révèle être le seul parti politique, construit, achevé, qui, au-delà de ses préoccupations économiques, s'installe d'ores et déjà dans la perspective d'un changement. Et qu'en l'absence de réponses de notre «représentation» nationale des partis politiques, il est bien le seul qui présentera ses solutions mûries, tournées essentiellement vers ses intérêts propres. Et c'est de bonne guerre.

Collectivement, du fait de notre désintérêt de la chose publique, par notre absence de vigilance, nous serons livrés à un corps d'individus non élus qui nous imposera la marche à suivre. Notez bien. Même son langage a changé. Il dit «nous devons». Sans discussion.

Autant dire que l'expression populaire et la démocratie sont en danger de mort.